... ou du moulin à prières.
On s'étonnera toujours de la distance qu'il y a entre les paroles, les intentions ou la volonté, et les actes. On s'étonnera par là de cet être si dispersé et décousu qu'est l'homme, et on le plaindra sans doute. On comparera sa parole, vaine, avec celle de Dieu : Dieu dit, et cela est.
On se félicitera toutefois que chez l'homme, la parole et l'agir soient ainsi découplés. Il n'est pas dans l'intérêt de tous que chaque parole (ou chaque pensée) se traduise immédiatement en faits, cela rendrait nos existences très aléatoires.
Tout de même, lorsqu'il est écrit : "Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa.", nous pensons au verbe image du Verbe. Dès lors, quand nous voyons la perversion que peut faire l'homme de son usage du verbe, comment ne voyons-nous pas qu'il s'agit là de la distorsion la plus grave faite à cette image : "La parole est pour dire le monde, non pour le contrefaire", disait un rabbin à son chat menteur.
Deux travers : soit l'homme sur-évalue son verbe, il le prend pour un verbe créateur alors qu'il n'est qu'un verbe énonciateur, soit il le dévalue, utilisant son verbe comme une planche à billets surchauffée. Les mots ont alors la valeur du papier-monnaie, non de la monnaie elle-même.
Que vaut alors une parole de prière ? Rien, si celle-ci n'est qu'un simple débit sonore. Autant jouer avec une chasse d'eau comme enfant.
"Ce peuple est près de moi en paroles et me glorifie de ses lèvres, mais que son cœur est loin de moi et que sa crainte n'est qu'une leçon apprise."
Ainsi parle Dieu par la bouche d'Isaïe. Et aussi :
"N'apportez plus d'oblation vaine : c'est pour moi une fumée insupportable! Néoménie, sabbat, assemblée, je ne supporte pas fausseté et solennité. Vos néoménies, vos réunions, mon âme les hait; elles me sont un fardeau que je suis las de porter !"
Nos mots ne valent rien en soi, comme un billet de banque ne vaut rien en soi. Seul le Verbe de Dieu est efficace en soi. Pour l'homme, pour que son verbe soit efficace, il faut que la volonté, la parole et les actes soient unis en cohérence. Ainsi Jesus disait ce qu'il faisait, faisait ce qu'il disait, et mourut pour ce qu'il fit et dit. Il n'y a pas témoignage plus solide qu'une parole incarnée : "Je rends témoignage de moi-même, et le Père qui m'a envoyé rend témoignage de moi." (Jean)
Le contraire, le faux témoignage, la parole fausse-monnaie, c'est, par exemple,l 'antéchrist auto-proclamé Nietzsche : il vécut et mourut l'exact inverse de qu'il dit.
Et lorsqu'on se contente de paroles comme dans une incantation, on s'adresse à une idole et la croyance est superstition.
- Medellin, Colombie, 2000 morts par an : «Je me confesse souvent, et Dieu pardonne mes péchés», confie l'un de ces tueurs de métier (Figaro, Medellin replonge dans la guerre des gangs le 28/08/2009) .
Voici pour son "pardon" :
"Vous avez beau multiplier les prières, moi je n'écoute pas. Vos mains sont pleines de sang : lavez-vous, purifiez-vous! Otez de ma vue vos actions perverses! Cessez de faire le mal." (Isaïe)
Plus lucide que ce tueur à gage, tout aussi coupable, Claudius, le roi fratricide et usurpateur dans Hamlet :
"My words fly up, my thoughts remain below;
Words without thoughts never to heaven go. "
Et vous qui dites : "Dieu n'écoute pas ma prière !", dansez plutôt la danse de la pluie.