Nietzsche, dans un accès habituel de mauvaise foi mélangée à un indéniable sens de l'observation, écrivit : "Jusque dans leurs discours [ceux des prêtres] je sens l'odieux relent des chambres mortuaires. Il faudrait me chanter de meilleures chansons [ Requiem, Magnificat, Stabat Mater, Passion, Messe en si mineur ?] pour me faire croire à leur sauveur ; il faudrait que ses disciples eussent l'air un peu plus sauvés."
Que n'allait-il à la messe de l'épiscopalien Mgr Tutu, ce fils de Lutherien ?
Le seul vrai gai savoir pourtant, la religion de la joie et de la danse, c'est le christianisme, assurément. Le marqueur infaillible de la foi, c'est la joie : l'enthousiasme pour être précis, cette exaltation poussant à agir avec joie (étymologiquement "possession divine", être saisi par Dieu).
Point de joie, point de foi : les tristes sires et les pisse-vinaigre, voilà peut-être les plus acharnés des récalcitrants à la bonne nouvelle.
Faut-il pour autant nier les pleurs et les grincements de dents ? Certes non : il est simplement un devoir pour ceux qui croient à la Vie de danser à temps et non à contre-temps :
- Il y a un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel.
- Un temps pour pleurer, et un temps pour rire; un temps pour gémir, et un temps pour danser (Qo 3:1).
Il convient alors de ne pas se tromper sur ces paroles de Jésus : "Malheur à vous qui riez maintenant! car vous connaîtrez le deuil et les larmes." Et ne disait-il pas juste auparavant : "Malheur à vous, qui êtes repus maintenant ! car vous aurez faim." Quel insensé comprendra qu'il est bon d'être triste, et qu'il est bon d'être affamé ? La lettre tue, l'esprit vivifie, et en effet, malheur à celui qui entend littéralement ces paroles. Le rire dont Jésus se rit, c'est le rire écervelé, de l'insensé qui dit dans son coeur : "Dieu n'existe pas" ; les pleurs, ceux qui sont victimes de ces gens qui hochent de la têtes, clignent de l'oeil, et mettent à mort les envoyés. Les repus, ce sont ceux qui s'emplissent la panse des biens de ce monde à mesure qu'ils jeûnent des biens de leur âme. Malheur donc à ceux qui dansent à contre-temps
Jésus quant à lui allait aux noces et au désert, à temps. Et la preuve que le christianisme est religion de joie, Dieu transforme au final matière à pleurer en rire, à temps et contre-temps : "Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux : c'est bien ainsi qu'on a persécuté les prophètes, vos devanciers" (cf Luc 6:17 et Mt 5:1). Etre dans la joie et l'allégresse à cause des heurts et malheurs, n'est-ce pas le plus haut des gais savoirs, la logique du rire poussée à son plus ultime ? Simple rappel ici que la vie ne se termine pas avec la mort.
Voici encore : le rire est terme de l'alliance de YHWH avec Abraham, partant, avec toutes les nations : "Ta femme Sara te donnera un fils, tu l'appelleras Isaac [Il rira]. J'établirai mon alliance avec lui, comme une alliance perpétuelle, pour être son Dieu et celui de sa race après lui". Et cette alliance est étendue à toutes les nations : "Par ta postérité se béniront toutes les nations de la terre, parce que tu m'as obéi." Toutes les nations rient à présent de joie à la suite d'Isaac, à cause d'Abraham et grâce au Christ. Alors, par pitié, que ses disciples prennent donc un air un peu plus sauvé à la sortie de la messe :
Der Himmel lacht! die Erde jubilieret
Und was sie trägt in ihrem Schoß;
Der Schöpfer lebt! der Höchste triumphieret
Und ist von Todesbanden los.
-
Cieux, riez ! Terre, exulte,
Et tout ce que tu portes en ton sein ;
Le Créateur vit ! Le Très-Haut triomphe
Libéré des chaînes de la mort.
Voilà bien la preuve qu'on peut être Lutherien et rire.
Enfin quoi ! Dieu n'est pas un Dieu de morts, mais de vivants ; et Dieu n'est certes pas mort : Il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête. Et il juge à présent Nietzsche, fils de pasteur luthérien, sur ses pas de danse, lui qui se prétendait bon danseur : "Tu as chanté ma mort, pauvre insensé ? Eh bien danse maintenant !"
Note philosophique : "Le rire est triste infirmité de la nature humaine, dont toute tête pensante s'efforcera de se délivrer."
Hobbes est mort lui, et c'est tant mieux pour nous.