On voit fleurir ces temps-ci sur quelques dépêches et notes de blogs, des demandes pour que soient canonisés incessamment les victimes de l'attentat anti-chrétien de la cathédrale Sayidat al-Najat de Bagdad. Ce genre de revendication semble très imprudent - et elle ne sera d'ailleurs pas exaucée, pour les raisons suivantes que tout le monde entendra :
Être victime ne fait pas de vous un innocent par ailleurs, ni a fortiori un martyr et saint, combien même vous succombez en tant que chrétien et dans une église. Cela fait de vous une victime chrétienne, victime dans une église, et cela est déjà bien tragique.
La victime n'est pas essentiellement un être bon et pur, ni ne le devient par la simple grâce du statut de victime. Elle est simplement une victime dans une circonstance donnée. Nous voyons des personnes, qui, du statut de victimes, passent sans état d'âme au statut de criminels. Si nous n'en voyons pas, nous pouvons très facilement l'imaginer - l'histoire est remplie de ces sinistres renversements ou la victime devient bourreau. Il faut donc être autre chose que simplement victime pour prétendre à la sainteté, combien même on est victime dans un lieu saint. Ou alors il faut aussi canoniser les victimes de la tour de Siloé.
Qui peut dire en outre qu'à la messe ne viennent que des gens aux vertus héroïques ? Mais c'est exactement l'inverse : y viennent les éclopés, les malades ayant besoin du médecin. Un messalisant serait-il par essence pur comme une colombe ? N'y trouve-t-on jamais d'escrocs ou de criminels ? Allons-donc ! Qu'une personne soit sainte non par ses propres bonnes actions, mais par la seule vertu d'une mauvaise action d'autrui, voilà qui serait extraordinaire. Si la sainteté est une affaire sérieuse, cela est rigoureusement impossible. Le mauvais gérant est loué pour son habileté, non pour son état d'escroc ; une personne est canonisée pour son exemplarité, non par son état de victime.
L'Église ne prendra donc certes pas le risque de canoniser une personne dont la vie n'aura pas été exemplaire, d'une manière ou d'une autre. Or la tragédie de Bagdad ne fait partie que des aléas de la vie, qui peuvent être brutaux. Si donc il doit y avoir des saints parmi les victimes, et peut-être y en a-t-il après tout, cela sera après une enquête minutieuse de discernement, dans l'absolu respect des formes.
Finalement le martyr meurt en martyre, en témoin de sa foi. Ainsi, lorsque lui est donné le choix entre le reniement de sa foi et le supplice, il choisit de témoigner.* N'est-ce pas précisémment ce que nous rappelle le film "Des hommes et des dieux" ? Être victime ne demande aucune vertu, ni aucun courage. Dans le cas de cette fusillade, il n'est pas évident que la victime ait eu la possibilité de témoigner de sa foi. Qui peut assurer qu'elle l'aurait fait par ailleurs ? sonder les reins et les coeurs est une prérogative divine.
Parce qu'une victime n'est pas innocente par essence, parce que la sainteté se juge sur des actes et non des produits de circonstances hasardeuses, y compris pour ce qui concerne le martyre tel que l'entend l'Eglise catholique, il n'est pas possible de canoniser immédiatement, sans enquête et sans discernement, les victimes de cette tragédie. Le dire n'est insulter le malheur de personne, c'est tenir un langage de prudence.
Il n’y a pas de sainteté sans renoncement et sans combat spirituel (cf. 2 Tm 4). CEC art 2015 - Et Dieu reconnaîtra les saints, de toute façon.
Note :
* Il y a sans doute d'autres circonstances qui font de vous un martyr ; il ne me semble pas qu'il ne fût jamais qu'un fruit du hasard.