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Le grand frisson

Notre Occident s'ennuie tellement que, lorsqu'il sent le vent du grand frisson frémir, il est hors de question pour lui de laisser passer l'occasion de prendre le large.
Ainsi les évènements de Libye. Enfin le moyen trouvé de se faire peur comme au spectacle. Quelques bruits de botte, l'odeur de la poudre, voilà bien de quoi exciter les stratèges de comptoir et nous faire oublier la monotonie des marronniers en fleur (pour information, le numéro du Point est consacré cette semaine à l'immobilier parisien - le prochain au produits numériques, ensuite le classement des hôpitaux puis des lycées ; un dossier sur les loges maçonniques devrait compléter la pépinière). Vivement que le pape s'exprime sur les préservatifs.

Ainsi donc se pose la question, pour les pays européens, d'intervenir :
- sur un autre continent ;
- dans un conflit purement interne ;
- sans que ses intérêts autres que pétroliers (peut-être migratoires aussi), ne soient en jeux.

Quelle mouche donc nous asticote de la sorte ?
- Certes Kadhafi est un despote de la vieille école : sans scrupule, mégalo, assoiffé de pouvoir, d'argent, et peut-être de cortisone (ou d'alcool - au quel cas il s'agirait en outre d'un boit-sans-soif).
- Certes il massacre sa population, jette l'opposition aux fers voire plus, s'amasse un joli pactole en prévision d'une retraite qu'il n'a pas l'intention de prendre. Il y a plus de dollars sur ses comptes en Suisse que de grains de sable dans ses déserts.

Ding ! Il ne vous rappelle personne ? Mouammar Hussein, Saddam Kadhafi - kiff-kiff bourricot cousin !
Donc, tandis que nous hurlions, indignés (très important de prendre la pose indignée*, cf le pathétique Stéphane Hessel) à l'impérialisme américain quand W. entreprit sa croisade anti-Saddam, tandis que Villepin brassait les résolutions de l'ONU quand l'autre brandissait sa fiole pipautée, nous voici en 2011 tout excité à vouloir corriger l'autre marchand de tapis - à l'américaine.
Comme quoi tout dans ce bas monde n'est que registre de comédie. Car en vérité, il n'y a aucune différence entre la situation de l'Irak en 2003 et celle de la Libye en 2011.

Or donc, sur quel critère s'ingérer dans les affaires des autres : car enfin, Khadafi, Béchar, Chavez, Bagbo, Jong-il et j'en passe, va-t-il falloir se les faire tous un à un ? Pourquoi l'un et pas l'autre ? Me répondrez-vous : l'un est à notre portée, l'autre pas.
Soit. Un mixe de principes et de réalisme, pourquoi pas. Mais dans ce cas il nous faut admettre que l'hystérie anti-W relevait de l'irrationnel.

Il y a bien des tas de raisons d'être contre : ainsi, la peur de passer pour l'impérialiste et le neo-colonialiste de service (combien même la Libye est une création coloniale ; passons). Sans doute ces gens, dans lesquels germent de telles pensées tordues,  pensent-ils à certains pays arabes qui n'ont pas hésité à encourager, financer, armer le djihad dans les Balkans. Combien de combattants arabes dans ces guerres européennes ? Et si cela ne répond pas à la définition du colonialisme, je veux bien qu'on m'offre un autre dictionnaire.
Voilà donc une très mauvaise raison de ne pas tordre le bras de Khadafi.

Plus intéressant, on peut se référer au magistère de l'Eglise concernant la justification de la guerre. Il y a certains critères bien précis qui entrent  en jeux - mais la plupart ne concernent que les conflits classiques entre Etats. Il s'agit dans le cas libyen d'une guerre civile, d'où un certain embarras dans les documents de l'Église. Avouons aussi que la formulation générale de l'Église sur le thème de la guerre est plutôt confus, pleine de bonnes intentions comme de pavés l'enfer. L'irénisme béat qui irradie certains  documents (je pense au compendium de la doctrine sociale de l'Eglise  concernant la paix et la guerre) a quelque chose de plus ridiculement anti-nietzschéen que de véritablement chrétien. On a bien fait de signer à Munich, pour résumer. Curieusement, ce document ne cite jamais l'épisode ou Jésus chasse les marchands du temple à coups de fouet. Ni les mots parfois violent de Jésus - tout comme ceux de Paul ; Je ne parle même pas des prophètes : ce passage du compodium les lapiderait une deuxième fois. La vérité, parfois, est violente - c'est ainsi, dans un monde où règne le péché.
Que dire par ex. de l'art 497 : "La guerre, en définitive, est « la faillite de tout humanisme authentique »,1042 « elle est toujours une défaite de l'humanité »: 1043 « Jamais plus les uns contre les autres, jamais, plus jamais! (...) jamais plus la guerre, jamais plus la guerre! »." Moi, la guerre, je suis contre. Et l'injustice aussi. Sérieusement, ce genre de pathos digne de nos grands écrivains visionnaires de l'entre-deux-guerres ne vaut que l'encre qui a servit à l'écrire. Je ne dis pas que ces documents ont tort dans le fond, évidemment non ; simplement un toilettage de la formulation s'imposerait sans doute.

Tout ça pour dire qu'entre l'excitation à prendre les armes, et la velléité créatrice surtout de grands principes, il y autant qu'entre la vitesse et la précipitation. Rappelons-nous de la grande couillonnade du Kosovo : réagir uniquement avec ses tripes, c'est faire le dindon d'une farce pas très drôle. La raison doit avoir son mot à dire, avec son principe de réalité.

Où l'on retrouve le principe de discernement et de conscience morale, décidément la clé de toute action humaine - et pas seulement chrétienne.

* Il n'y a pas plus menteur que l'homme indigné, écrivait Nietzsche dans un flash de lucidité.

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