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La grande fabrique IV - Max Weber 2nd partie

Sur la bureaucratisation :

Weber relève d'autres facteurs ayant favorisé le capitalisme moderne : le développement des villes aux Moyen-Âge, lieu de naissance des structures juridiques indispensables à son essor, lieu de la généralisation du travail libre - et surtout le développement de l'Etat moderne et le droit formel, à l'origine du phénomène de la bureaucratisation. Le capitalisme de fait nourrit la bureaucratie, bien qu'elle en sape les fondements libéraux.

Weber rappelle que le capitalisme a doublement besoin de l'Etat moderne, d'abord en tant que monopole de la violence physique légitime, garant de l'exécution des contrats et de la protection de la propriété privée. Le capitalisme a également besoin de l'Etat en tant qu'organe d'administration rationnelle, reposant sur le fonctionnariat expert et sur le droit rationnel (opposé à la notion de coutume). Le capitalisme a besoin de ce droit formel, positif "sur lequel on peut compter comme sur une machine". Le capital étant investit sur des périodes plus ou moins longues, il convient, pour le calcul du gain, de s'appuyer sur une structure juridique stable. La résurgence du droit romain pendant le Moyen-Âge, enseigné dans les universités (par ex l'université de Bologne fondée en 1088), qui fourniront la bases des hauts-fonctionnaires (cf Thomas More). Il y eut donc en Occident une alliance entre l'Etat et la jurisprudence formelle qui fut indirectement favorable au capitalisme, dans la mesure où elle créé un environnement politico-juridique propice. Cette alliance est l'acte de naissance de la bureaucratie.

La bureaucratie met en oeuvre un domination légale, qui ne tient pas compte de relations personnelles, mais de relations objectives (les lois, les règlements). Le travail administratif suivant des règles établies, il est donc prévisible, comme on peut prévoir la chute d'un corps en fonction de la loi de la gravité. Tout étant strictement délimité, les fonctionnaires ne font que des tâches précises et spécialisées ; l'administration ne peut donc fonctionner correctement qu'avec l'absolue obéissance de chaque rouage. La nécessité de contrôle fait naître la nécessité de centralisation.

Ce mouvement de domination fut initiée par les princes, s'appuyant sur des juristes bourgeois, afin de réduire le pouvoir de la noblesse, décentralisée (et partant de la coutume).

L'économie monétaire et marchande qui en découle favorise cette domination en sapant les communautés locales, et favorisant des règles communes ; de même, la nécessité d'administrer des territoires plus grands et plus peuplés. Enfin la démocratie, dont la première revendication est l'égalité politique et juridique de tous, "l'égalité de droit", renforce la nécessité d'une administration contre l'arbitraire de la coutume locale. Démocratie et bureaucratie se soutiennent mutuellement (et s'opposent en même temps). "La bureaucratie accompagne inévitablement la démocratie moderne, par opposition à l'auto-administration démocratique de petites unités homogènes." Notons que pour Weber, la bureaucratie n'est pas seulement une donnée de l'Etat moderne ; elle l'est aussi dans le secteur privé : y règne également la centralisation, la division du travail ou spécialisation des tâches, l'impératif d'efficacité (hum...), dépersonnalisation des relations, la discipline et l'expropriation des travailleurs.

Weber distingue trois types de dominations : la domination légale, traditionnelle, et charismatique. Pour lui la domination fut la forme la plus efficace. Cette domination repose, comme dans l'entreprise, sur l'expropriation : les individus sont dépossédés, par des organisations centralisées, des moyens qui assuraient leur autonomie. Les évolutions politique (l'Etat moderne centralisateur) et économique (le capitalisme moderne) sont donc isomorphes et convergentes. En ce sens la bureaucratisation de Weber, ce n'est pas seulement le règne des fonctionnaires, c'est aussi la salarisation des travailleurs indépendants (l'empire des employés).

Le travail du bureaucrate consistant à appliquer des directives, tout esprit critique et d'initiative est banni ; le bureaucrate obéit par devoir et habitude, mais aussi par calcul d'intérêt : son avancement est lié à l'obéissance. Le bureaucrate n'a plus, dans sa vie professionnelle, d'autonomie d'action et de pensée ; à force de n'avoir plus l'usage de sa liberté pratique au quotidien, le risque est qu'il en perde le goût et la faculté. Dans ce cadre, il n'est pas étonnant de voir préférer l'ordre à la justice.

Le point faible de la bureaucratie est son incapacité à définir des fins ; elle sait exécuter des décisions, non en prendre. D'où la tentation permanente de prendre les moyens pour une fin ; la bureaucratie devient alors sa propre fin, fonctionne en circuit fermé.

 

Machinisme dans la production et bureaucratie dans l'administration, telles sont donc les deux forces qui travaillent à fabriquer cette cage d'acier. Mais si ces deux forces sapent et détruisent les conditions externes de la liberté, elles se nourrissent et s'intoxiquent l'une et l'autre.

 

Rationalisation et reification : le règne des organisations.

Pour Weber, l'action "téléologiquement rationnelle" se concentre sur le rapport entre les fins, les moyens et les conséquences subsidiaires de l'action ; elle repose sur le calcul des moyens les plus adéquats pour parvenir aux fins proposés, tout en prenant en compte les conséquence prévisibles de ces moyens.

L'action axiologiquement rationnelle se concentre sur la valeur (éthique, religieuse, esthétique etc.) inconditionnelle des actes en eux-mêmes, indépendamment de leurs conséquences possibles. L'individu est au service d'une cause servie quel qu'en soit le résultat. Il cherche la cohérence des actes avec les valeurs qu'il se propose (ou la loi qu'il se donne à lui-même, cf la morale de Kant).

Pour Weber, l'action téléologiquement rationnelle est ce qui domine l'activité dans l'occident moderne.

Sur le plan des institutions Weber parle de rationalité formelle (ce qui donne prise au calcul et à la prévision : cf le droit romain, l'économie de marché), de la rationalité matérielle qui prend en compte des aspects éthiques (parvenir à l'équité, à la redistribution des richesses etc.)

La rationalité téléologique tend à dominer le modernisme : son monde institutionnel, formellement rationnel, tend à exclure les considérations de valeur.

L'administration bureaucratique et le marché capitaliste ont en commun de donner prise au calcul ; la rationalisation a pour condition l'objectivation des activités et la dépersonnalisation des relations sociales. Weber retrouve la question de l'aliénation et de la reification qui traversent toute la sociologie allemande, de Marx à la Théorie critique.

Avec l'objectivation des activités, les individus ne font plus intervenir de considérations personnelles dans la conduite de leurs activités : ils suivent les règles objectives qui les régissent. Ainsi pour le marché capitaliste :

"Lorsque le marché est laissé à sa propre logique, il ne laisse de place qu'à la considération de la chose, aucune à la considération de la personne, ni aux devoirs de fratzernité et de piété, ni naux relations humaines originelles, portées par les communautés de personnes." (E&S 2)

Et encore : "C'est le caractère des rapports purement commerciaux - caractère impersonnel, rationnel du point de vue économique, mais irrationnel du point de vue éthique - qui, dans les religions éthiques, se heurte à une méfiance.(...) L'objectivation de l'économie sur la base de la sociétisation de marché suit absolument ses propres lois objectives. L'univers réifié du capitalisme n'offre aucune place pour cette activité charitable.

Dans une civilisation moderne, l'on parlera donc d'acteurs et non plus sujets ; puisque l'individu agit au nom de normes objectives, hétérénomes. Leurs comportement est dès lors prévisibles et calculables.

La domination est ici organique et impersonnelle : c'est l'organisation et non le supérieur qui domine. Cette domination est la face caché de la libération des liens personnels et communautaires. Ainsi, derrière la dissolution des formes de vie communautaires, ce n'est pas le règne de l'individus mais celui des organisations.

L'individu doit ainsi simplement accomplir son devoir professionnel (cf éthique protestante), accomplir la mission que lui donne l'organisation. C'est ainsi que Weber annonce le diagnostic d'Arendt sur la "banalité" du mal. Eichmann : "Je n'ai fait que mon devoir."

Ainsi voit-on un glissement de valeur : la question n'est pas "ce que je fait est-il une bonne chose ?", mais "est-ce que je fait bien cette chose ?"

 

Le désenchantement du monde :

Entzauberung der Welt : désigne processus multi-millénaire d'élimination des moyens magiques dans la quête du salut = recul de la magie au sein du religieux.

"Plus l'intellectualisme refoule la croyance en la magie, de sorte que les processus de ce monde se désenchantent, plus le monde et la "conduite de vie" sont sommés d'être mis en ordre dans leur globalité, de manière à acquérir une signification  et un sens.

Le désenchantement ne s'achève qu'au XVII°, avec le protestantisme ascétique (chasse aux sorcières ?) en abandonnant toute manipulation rituelle comme voie de salut.

Puis, portée par la raison contre les religions : progrès connaissances scientifiques, maîtrise technique.

Mais : "l'intellectualisation et la rationalisation croissante ne signifient donc pas une connaissance générale toujours plus grande des conditions de vie (...). Elles signifient ceci : le fait de savoir ou de croire que, si on le voulait seulement, on pourrait à tout moment l'apprendre, qu'il n'y a en principe aucune puissance mystérieuse et imprévisible qui entre en jeu, que l'on peut maîtriser toute chose par calcul. Mais cela signifie : "le désenchantement du monde."

Mais la connaissance scientifique (ie le scientisme ?) tue à la racine la croyance qu'il y a qqch comme un "sens du monde". Disqualification de la quête de sens. Ce désenchantement implique la sortie de l'éthique : la science n'a pas de réponse à la question de savoir ce que nous devons faire : "les valeurs les plus ultimes et les plus sublimes se sont retirées de la vie publique."

Possibilité de tout calcul => perte de ce qui faisait la magie de l'existence : étonnement, enthousiasme, simple joie d'être au monde.

Plus les ordres du monde, et avant tout les sphère politiques et économiques, se rationalisent, plus les humains prennent conscience de leurs logiques propres et s'y soumettent, plus les tensions avec les exigences éthiques deviennent insurmontables, renforçant la tentation de fuir le monde.

Plus l'économie se rationalise, plus elle devient impersonnelle. Plus l'Etat s'organise de façon rationnelle, moins il est accessible aux exigences éthiques.

Ainsi, plus les ordres du monde suivent leurs propres lois (ou fin), plus ils se rationalisent et sont de fait amoraux.

Capital et Etat se trouvent opposés à l'Ethique, à l'Art et à l'Eros (zones a-rationnelles). => résurrection des anciens dieux, polythéisme des valeurs : "la multitude des anciens dieux sortent de leurs tombes, désenchantés et par conséquent sous la figure de puissances impersonnelles." Le Leviathan étatique et le Béhémoth capitaliste sont deux dieux jaloux qui ne laissent pas de place au Dieu d'amour de l'éthique.

Opposition entre éthique de la responsabilité (calculer les conséquences de ses actes) et éthique de conviction (agir en fonction conviction, qqsoient les conséquences).

Il y a contradiction entre les prouesses techniques de la civilisation, et ses promesses éthiques (monde plus juste, libre, fraternel etc.)

 

Conclusion :

La société industrielle et la production de masse transforme fondamentalement les rapport sociaux et induit un nouveau type de société, caractérisé par la dissolution des formes de vie communautaires, monétarisation des biens et des liens, développement du travail mortifère et de l'hédonisme consumériste, bureaucratisation et rationalisation de la vie.

Grand récit de l'épopée de l'individualisme moderne : autrefois, l'individu était écrasé par la communauté, à laquelle il était subordonnée sur tous les plans.

Or, individu contemporain de plus en pus dépendant de la société ou collectivité. On ne vit plus dans une société des individus, mais des organisations : individu sur-socialisé. Attachement des individus à la société, tout en les détachant de leurs semblables.

Utilitarisme est un effet des structures sociales.

Le problème ne tient pas à l'excès de liberté dont bénéficieraient les individus, maus au caractère abstrait, négatif, voire illusoire de la liberté moderne.

 

Montesquieu, de L'Esprit des Lois, livre III, sur les ressorts éthiques des divers gouvernements -> la république s'appuie sur la vertu.

Théorie critique de l'école de Francfort.

Rationalisation croissante => perte de liberté : Tönnies comme perte de liberté commune, Simmel comme perte de liberté positive, Weber comme perte de liberté pratique (que dois-je faire?).

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