Peu d'ouvrages ont une réputation et héritage aussi usurpés que celui de Max Weber, l'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme.
Pour un positiviste qui prétendait à la neutralité axiomatique, partir d'une pure spéculation, pour ne pas dire préjugé caricatural, pour déployer un argumentaire à la façon d'une pétition de principe est plutôt embarrassant.
Car enfin :
1) Ce n'est pas le protestantisme qui inventa le capitalisme - les prémisses se trouvent largement au Moyen-Âge.
2) Si le capitalisme moderne se développa d'abord en Angleterre. On rappellera donc que sur cette île c'est la religion Anglicane qui domine - qui est bien moins un protestantisme qu'un catholicisme national. La preuve en était, la farouche hostilité avec les luthériens et les calvinistes, ultra minoritaires.
3) Le capitalisme se développa au pays de Luther tardivement, dans la seconde moitié du XIX°.
4) L'un des Land le plus riche et industriel d'Allemagne est la Bavière, à majorité écrasante catholique... Pensons BMW, Audi, Man, MTU, Siemens etc.
5) Je cite Joseph Rovan dans son Histoire de l'Allemagne, (Seuil, 1999, p. 520) avec quelque Schadenfreude :
"A la tête de l'armée et de la haute administration, les fidèles de l'Eglise romaine étaient fort rares, alors qu'ils formaient plus du tiers de la population de l'Etat [prussien - luthérien donc]. Cet ostracisme permanent, à peine larvé, conjugué avec la législation égalitaire française, maintenue en Rhénanie [souvenir de l'occupation des armées napoléoniennes], contribuaient à orienter les énergies catholiques vers les activités économiques, industrielles et bancaires." Pan ! Weber.
6) Dernier clou dans le cercueil, la situation industrielle dans les pays scandinave, protestants s'il en est :
"En 1890, l'économie des quatre pays avait encore un caractère agricole. Le pourcentage de la population dans l'agriculture, la sylviculture et la pêche était de : 51 % en Norvège ; 62,1 % en Suède ; pourcentage pour l'industrie était de : 22 % en
Norvège et en Suède; 8 % en Finlande; 24,6% au Danemark.
En 1920, l'importance de l'agriculture avait diminué, mais celle de l'industrie, malgré son extension croissante, restait encore inférieure à celle de l'autre secteur. La part de la population tirant sa subsistance de l'agriculture était tombée à : 39 % en Norvège, 44 % en Suède, 66 % en Finlande et 33 % au Danemark; la proportion pour l'industrie était alors de : 29 % en Norvège, 35 % en Suède, 13.5 % en Finlande et 28,8 % au Danemark. "
France Rogé,, L'évolution industrielle des pays nordiques [article], INSEE Economie et Statistique Année 1957 12-8 pp. 884-902
La part de la population active dans l'industrie oscille pour la France entre 30% et 35% entre ces périodes ; mais avec une industrie bien plus innovante et la constitution de poids lourds industriels. En 1890 le secteur tertiaire y emploie 25%, le secteur secondaire 30%, le secteur primaire moins de 45% 'sources INSEE). Voilà des chiffres qui ne connaissent pas de Credo.
On notera par ailleurs que dans cette Allemagne de la seconde moitié du XIX°, le développement industriel et capitalistique s'est produit malgré un régime politiquement très anti-libéral, incarné par Bismarck, voire carrément réactionnaire. Ce qui tue là un autre truisme, comme l'a à nouveau démontré la Chine ces vingt dernières années.
