Véronique Courjault, la femme qui tua trois de ses nourrissons, assista donc au réquisitoire de son procès. Philippe Varin, l'avocat général, demanda dix ans de réclusion pour celle qui, par trois fois, a consciemment et délibérément tué "ces choses qui sortaient de son ventre". Il exhorta enfin à ne surtout pas la "diaboliser", non plus d'en faire une icône.
Soit.
Mais comment ! Une société ose s'offusquer de la mort de deux-trois choses ? Et qu'elle tolère dans le même temps l'abattage de 200 000 de ces choses par an, dans des conditions autrement plus indicibles ? Quelle est cette irrationalité ? Quel est cet obscurantisme, ce tour de passe-passe ?
Sans doute subit-on ici la dictature du pathos. Le pathos est une pathologie qui prospère sur l'inculture ; elle fagocite à la manière d'un parasite la raison débile et maladive. Ainsi une mort est-elle une tragédie, un million guère qu'une statistique. Une tragédie fait pleurer dans les chaumières ; la statistique provoque un haussement d'épaule.
Mais au nom de la cohérence, c'est un non-lieu qu'il faudrait accorder à Véronique Courjault - la véritable image de notre temps (vera icon, Véronique - ah ! Curieux non, dans une société de l'image, qu'on fustigeât ainsi une vraie image ? On ne tolère que les reproductions par chez nous ; se regarder froidement dans une glace, tel qu'on est, voilà l'intolérable)
Objectivement, l'acte de cette femme n'est pas différent de ceux autorisés sous conditions (les fameux garde-fous, plus fou que les fous qu'ils sont censés garder) par le code de santé public en vigueur dans notre bon royaume : elle tue un être vivant, qui est en même temps son enfant. Certes elle ne tue pas dans les termes définis par la loi, mais nous parlons ici de l'acte pur. La loi condamne donc non l'acte, mais le paratexte de l'acte ; c'est là une grande perversité que de croire que la moralité de l'acte dépend uniquement d'un contexte spatio-temporel arbitrairement défini. La loi, censée être pour le citoyen le reflet fidèle du juste et de l'injuste, renvoie une image trouble. La coupable ici, c'est donc elle, la loi, et elle est coupable parce que intrinsèquement injuste et qu'elle ne dit pas la vérité sur l'être humain. D'où toutes ces contradictions, et les exercices de scolastiques décadentes auxquels elle doit s'astreindre pour les masquer grossièrement.
En condamnant Véronique Courjault, la société se condamne de fait elle-même.
En appliquant la loi pour infanticide, elle souligne l'illégalité et l'injustice de sa propre loi.
Du grand n'importe quoi. Un procès-farce. Qu'on relâche cette femme immédiatement, ou qu'on interne les juristes.