Notre époque est un oued aride. L'esprit s'y est sûrement assèché, siphonné par la sangsue démocratique (tout comme l'art). Dans son domaine privilégié, à savoir la méchanceté, le constat est clair : celle-ci est uniformément grasse, mesquine, vulgaire, pour finir nuisible.
Au début du XX°, un obscur journaliste de la "Voix de l'Ain" peut encore écrire l'épitaphe qui suit :
"On annonce la mort d'un de nos compatriotes, romancier très en vogue, membre de la Société des Gens de Lettres.
Il a beaucoup écrit ; de ces romans où l'imagination est tout, le style peu de chose, et l'observation des caractères et des moeurs moins encore. De son oeuvre qui a réjoui et affolé nombre de concierges et de jeunes ouvrières, il ne restera probablement rien pour la postérité. Il avait près de 80 ans, son nom avait tenu une place autrefois dans l'Ain."
Beaucoup, autrefois... Ou comment réussir un embaumement de toute classe en deux adverbes. En voilà un qui fit honneur à Anubis. De nos jours, on n'embaume plus. On dépèce en vulgaire boucher. On pardonnerait tout pourtant aux journalistes, si, ayant abdiqué la culture, il leur était resté au moins l'esprit.
"D'où vient qu'un boiteux ne nous irrite pas et un esprit boiteux nous irrite ? À cause qu'un boiteux reconnaît que nous allons droit et qu'un esprit boiteux dit que c'est nous qui boitons. Sans cela nous en aurions pitié et non colère."
(Pascal, Pensées)