Bienheureux ceux qui auront le privilège d'étudier nos sociétés agonisantes, et le soin particulier qu'elles prennent à se suicider méthodiquement, dans un état de conscience stupéfiant.
Prenons l'exemple des paris et jeux en ligne, libéralisés depuis peu : la société est parfaitement consciente, avant même l'ouverture de ce marché, que ces activités entraînent de l'addiction, et au final un coût inhumain. D'où les pieux messages d'avertissements devant accompagner les publicités fleurissant avec la coupe du monde de foot : il s'agit d'encourager les paris, et de les décourager incessamment. On encourage donc en exhibant des gens qui jouent, et, le hasard faisant bien les choses, gagnent, tandis qu'un vague bandeau décourage par ailleurs : "jouer comporte des risques de (se) perdre."
Efficacité et cohérence garanties. Où l'on ne craint pas de superposer la thèse et l'antithèse (on fait de la pub pour jouer en donnant toutes les bonnes raisons de ne pas jouer), en s'épargnant toute synthèse.
Même chose pour l'industrie agro-alimentaire, qui nous excitent avec leurs produits saturés de sucre et de graisse, tout en nous déconseillant fortement de manger trop gras, trop salé ou trop sucré. Donc de ne surtout pas toucher à leur vaccin pro-diabétique.
Même chose pour la cigarette.
Même chose pour l'alcool.
"Le vice ? Ah pouah ! Achetez le."
La pornographie quant à elle dispose d'une singulière impunité : on cligne de l'oeil, on affecte l'air entendu du "ah, galopin !" Que la courbe des déliquants sexuels puisse suivre celle du chiffre d'affaire de cette industrie, qu'importe ? Et les victimes, qu'importe ? On leur laissera quelque première page à l'année pour les crimes les plus odieux. On se laissera en transports, on criera vengeance et au lynchage ; au final, simple haussement d'épaule.
Singulière société, qui connaît mieux que personne les maux qui la ronge, et qui les encourage et les développe comme bouillon de culture, avec la rage et la constance de celle qui se hait. Ses remèdes sont : "toujours plus de maux, ils effaceront bien les précédents."
Sçavantissimi doctores :
Clysterium donare,
Postea seignare,
Ensuita purgare.
Chorus :
Bene, bene, bene, bene respondere.
Dignus, dignus est intrare
In nostro docto corpore.
...
Chirurgus :
Puisse-t-il voir doctas
Suas ordonnancias,
Omnium chirurgorum
Et apothicarum
Remplire boutiquas!
Chorus :
Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat,
Novus doctor, qui tam bene parlat!
Mille, mille annis, et manget et bibat,
Et seignet et tuat!
Chirurgus :
Puissent toti anni
Lui essere boni
Et favorabiles,
Et n'habere jamais
Quam pestas, verolas,
Fievras, pluresias,
Pluxus de sang, et dysenterias!
Chorus
Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat,
Novus doctor, qui tam bene parlat!
Mille, mille annis, et manget et bibat,
Et seignet et tuat!
Le clystère, puis la saignée, ensuite la purge. Que le grabataire mette aussi longtemps à crever, voilà le plus grand mystère. C'est pourtant ce traitement que l'Occident entend répandre sans vergogne de par le monde.