Peut-on dire que les Lumières, au moins en pays majoritairement catholiques, sont les filles naturelles, c'est-à-dire nécessaires (au sens des causes secondes) mais point du tout programmées du concile de Trente ? Quelques exemples très édifiants (liste ouverte) :
- Descartes : entre à onze ans au collège jésuite de la Flèche.
- Montesqieu : entre à onze ans chez les oratoriens de Juilly.
- Camille Desmoulins entre comme boursier au lycée Louis-le-Grand, tenu par les Jésuites.
- Jean-Étienne-Marie Portalis (l'un des rédacteurs du Code civil), étudia chez les oratoriens de Toulon puis de Marseille.
- Pierre Bayle : A vingt-deux ans, entre à l’université des jésuites de Toulouse.
- Voltaire : entre à dix ans au collège Louis-le-Grand.
- Robespierre, Fouché, Daunou, Massillon, Malebranche : élèves des oratoriens.
- Diderot : élève au collège Jésuite de Langres.
- Cesare Beccaria : entre à neuf ans au collège Jésuite de Parme (très mauvais souvenir selon ses dires ; son camarade et ami Pietro Verri n'en disant que du bien...)
Voici ce qu'écrivit Voltaire, dans un répit de bonne foi :
« J'ai été élevé pendant sept ans chez des hommes qui se donnent des peines gratuites et infatigables à former l'esprit et les mœurs de la jeunesse. Depuis quand veut-on que l'on soit sans reconnaissance pour ses maîtres ? Quoi! il sera dans la nature de l'homme de revoir avec plaisir une maison où l'on est né, le village où l'on a été nourri par une femme mercenaire, et il ne serait pas dans notre cœur d'aimer ceux qui ont pris un soin généreux de nos premières années ? Si des Jésuites ont un procès au Malabar avec un capucin, pour des choses dont je n'ai point connaissance, que m'importe ? Est-ce une raison pour moi d'être ingrat envers ceux qui m'ont inspiré le goût des belles-lettres, et des sentiments qui feront jusqu'au tombeau la consolation de ma vie ? Rien n'effacera dans mon cœur la mémoire du père Porée, qui est également cher à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais homme ne rendit l'étude et la vertu plus aimables. Les heures de ses leçons étaient pour nous des heures délicieuses ; et j'aurais voulu qu'il eût été établi dans Paris, comme dans Athènes, qu'on pût assister à de telles leçons; je serais revenu souvent les entendre. J'ai eu le bonheur d'être formé par plus d'un Jésuite du caractère du père Porée, et je sais qu'il a des successeurs dignes de lui. Enfin, pendant les sept années que j'ai vécu dans leur maison, qu'ai-je vu chez eux? La vie la plus laborieuse, la plus frugale, la plus réglée ; toutes leurs heures partagées entre les soins qu'ils nous donnaient et les exercices de leur profession austère. J'en atteste des milliers d'hommes élevés par eux comme moi; il n'y en aura pas un seul qui puisse me démentir... » Lettre au père de Latour; à Paris, le 7 février 1746.
L'un des objectifs du concile de Trente fut de combattre l'ignorance à la fois du clergé et des fidèles (la religion chrétienne est une religion savante, on n'insistera jamais assez sur ce point : l'ignorance conduit directement à sa déliquescence). Dans cet "écosystème tridentin" se sont développées des congrégations commes la Compagnie de Jésus, fondé par Ignace de Loyola et approuvé en 1540, la Congrégation de l'Oratoire, fondé par Philippe Neri et approuvé en 1575, ou encore les Frères des Ecoles chrétiennes, fondé par Jean-Baptiste de la Salle en 1685.
Dans les années 1740, les Jésuites dirigent plus de 650 collèges en Europe, ont la charge de 24 universités et de plus de 200 séminaires et maisons d'étude.
Quant aux Oratoriens, il existait en France à la veille de la Révolution 128 établissements, accueillant 35 700 élèves.
Voilà donc un exemple de cette cruelle ironie de l'Histoire : l'Eglise instruisit ceux-là même qui l'outragèrent. Finalement bonne fille, je ne crois pas qu'elle s'en repentît un seul jour.