Dostoïevski martèle dans son oeuvre : "C'est la beauté qui sauvera le monde", parole d'idiot. Il est en conséquence inquiétant de voir comment le beau fut expulsé, par coups d'état successifs, du domaine où il s'épanouissait le mieux. L'art contemporain est un sans-culotte ; de cette piétaille médiocre qui se revêt des frusques de son pillage, pour jouer au petit marquis en se pavanant comme un coq. Je suis médiocre, sans génie, sans talent, mais je sais habiller tout mon néant des mots les plus prétentieux. Je suis un imposteur ; je ne sais qu'imiter un vague langage pédant et creux ; comme si un perroquet recrachant des lignes de Kant pouvait se prétendre philosophe.
Et bien voilà : il y a autant entre l'art et les dits artistes contemporains qu'entre le perroquet et la philosophie. Une imposture à l'image de toutes les impostures que proposent ces derniers siècles : impostures économiques, sociales, anthropologiques - tout est imposture, habillage verbal de néant.
L'homme s'émerveille face au beau, mais est fasciné par le laid (c'est-à-dire, la corruption des formes et des couleurs). Il se fascine devant un cadavre en putréfaction, mais s'émerveille devant les oeuvres de Michel-Ange. Il en a toujours été ; ce qui change, c'est le langage : on appelle à présent beau (quand on ose ce terme) ce qui est laid, et laid ce qui est beau, comme si le langage savait conférer une essence aux choses. Cela n'est qu'une prétention de créature qui se prend pour le Créateur ; ce n'est que l'expression, au fond, de l'éternel frustration de l'être conscient de sa finitude.
Il n'y a quasiment plus d'éducation au beau : le beau a été jugé par la bourgeoisie aussi obscène que la morale (incluons dans cette bourgeoisie tous ces bourgeois refoulés qui parlent au nom du peuple). Mais le beau est autant ancré dans les gènes de l'homme que la morale : si l'homme moderne n'a plus les moyens d'exprimer ni le beau, ni la morale, du moins en garde-t-il une intuition au plus profond de lui.
Comment expliquer les vagues de millions de touristes qui déferlent sur cette vieille Europe ? Viennent-ils pour s'extasier devant les oeuvres du XX° ? En vérité ils viennent pour le parthénon, les cathédrales et la chapelle Sixtine. Quant aux autres millions qui vont aux US, ils y vont pour faire du shopping.
Si la beauté doit sauver le monde, il n'est dès lors pas étonnant de la voir traquée dans tous les recoins. C'est là assurément la marque de fabrique de la pseudo-modernité et de sa culture de mort.