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Histoire - Page 3

  • Pour en finir avec le Moyen-Âge

    venus_Milo.jpg Je crois qu'il n'y a pas période de l'histoire où plus de fantasmes et de mauvaise foi s'y sont acharnés, que celle de la féodalité.

    Ainsi du fameux "droit de cuissage", qu'heureusement plus aucun manuel récent et décent ne se donne la peine de mentionner. Cette légende nous viendrait d'un obscure juriste de la renaissance, repris par les inévitables saints laïcs Voltaire et Michelet. On ne résistera pas de citer ce dernier, référence suprême du manuel scolaire :

     "Le seigneur ecclésiastique, comme le seigneur laïque, a ce droit immonde. Dans une paroisse des environs de Bourges, le Curé, étant seigneur, réclamait expressément les prémices de la mariée, mais voulait bien en pratique vendre au mari, pour argent, la virginité de sa femme » et plus loin, parlant des seigneurs : « On voit d’ici la scène honteuse. Le jeune époux amenant au château son épousée. On imagine les rires des chevaliers, des valets, les espiègleries des pages autour de ces infortunés. — « La présence de la châtelaine les retiendra ? » Point du tout. La dame que les romans veulent faire croire si délicate, mais qui commandait aux hommes dans l’absence du mari, qui jugeait, qui châtiait, qui ordonnait des supplices, qui tenait le mari même par les fiefs qu’elle apportait, cette dame n’était guère tendre, pour une serve surtout qui peut-être était jolie. Ayant fort publiquement, selon l’usage d’alors, son chevalier et son page, elle n’était pas fâchée d’autoriser ses libertés par les libertés du mari. »
    Jule Michelet, La Sorcière [archive] publiée par l'Université du Québec à Chicoutimi [archive], p. 43 et suiv.

    Si ça pleure pas à chaudes lacrimales dans les chaumières en ce début du XX°...

    Autres sornettes relevées par Jacques Heers, directeur du département d'études médiévales de Paris-Sorbonne : 
    - Le droit de ravage : "Quand un seigneur était mécontent des paysans de ses fiefs, ou même qu'il voulait se divertir d'une façon distinguée, il envoyait ses chiens et se chevaux dans le petit champ du malheureux serf... et ravageait en un instant tout l'espoir et tous les travaux d'une année."
    On notera l'extrême intelligence du dit seigneur qui se punit ici deux fois, ravageant à la fois sa propre terre, sa propre récolte, et donc sa subsistance et ses revenus. On est fruste au MA, mais faut tout de même pas déconner.
    - Le droit de prélassement : Au retour de la chasse, lors des dures soirées d'hiver, ces  Seigneurs "avaient le droit de faire éventrer deux de leurs serfs pour réchauffer leurs pieds dans leurs entrailles fumantes." (M. Clerget, curé d'Onans et député d'Amont à l'Assemblée nationale de 1789; député Lapoule lors de la séance du 4 août 1789). No comment. On notera juste que certains niaiseux s'y sont tout de même fait prendre ; plus c'est énorme...
    - Le droit de mainmorte : "à la mort d'un serf - selon un moine du XII° [qui ? où ?] - il était d'usage de couper sa main droite et de la présenter au seigneur qui pouvait alors prendre tous ses biens." (Jean-Joseph Julaud, l'Histoire de France pour les Nuls, ed 2005).
    On imagine bien les murs du donjon du tyran local tapissés de grappes de mains mortes putrescentes...

    Voici une définition certes moins romantique, mais sans doute plus précise :
    La mainmorte : Elle intervient au décès d’un serf : c’est son seigneur qui doit recueillir ses biens. On dit que le serf a la « main morte », qu’il ne peut donc transmettre ses biens, notamment par testament. À partir du 12e siècle, il y a de nombreuses atténuations au principe : la présence d’enfants légitimes écarte la mainmorte, les droits du conjoint survivant sont reconnus sur une partie des biens. Même dans le cas où elle peut être exercée, la mainmorte est limitée par les coutumes à une simple quotité de la succession : les meubles, le meilleur meuble, la plus belle tête de bétail ou meilleur catel. Peu à peu, les proches du serf décédé peuvent garder ses biens à condition de payer une redevance, sorte de taxe successorale. Pour détourner la mainmorte, les serfs utilisent le procédé de la communauté taisible : la même famille servile possède tout en commun ; lors du décès de l’un de ses membres, la part virtuelle qu’il possédait ne va pas au seigneur mais tombe dans la communauté.
    (UNIVERSITÉ JEAN MOULIN – LYON 3, Faculté de Droit, LICENCE EN DROIT, 1er SEMESTRE, INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS de la fin de l’Antiquité à la fin de l’Ancien Régime (5e-18e siècles) Chr. LAURANSON-ROSAZ Professeur à l’Université Jean Moulin).

    Voici une étymologie, selon le Littré, de "mainmorte" : 
    Main, et mort ; appellation qui, dit Voltaire, Siècle de Louis XV, 42, " vient de ce qu'autrefois, lorsqu'un de ces serfs décédait sans laisser d'effets mobiliers que son seigneur pût s'approprier, on apportait au seigneur la main droite du mort ; digne origine de cette dénomination. " Cette étymologie, qui provient peut-être de quelque légende, est fausse. Manus a déjà en droit romain et a conservé en vieux droit français le sens de puissance, domaine. Ici main veut dire le droit de transmettre et d'aliéner : gens de mainmorte, ceux qui, soit comme serfs, soit comme appartenant à des corps et communautés, ne peuvent transmettre et aliéner ; biens de mainmorte, biens qui ne peuvent être transmis ni aliénés, soit ceux des serfs qui appartiennent au seigneur, soit ceux des corps et communautés, qui sont immobilisés et inaliénables. Quant au sens de mort en ce mot, il est le même que dans le verbe amortir, et signifie éteint, sans force.

    On voit le rôle de l'inépuisable Voltaire, jamais avare de répandre les légendes les plus farfelues. Rappelons aussi à toute fins utiles que la notion moderne de propriété ne reviendra qu'avec l'établissement progressif du droit romain. Dans ce système de coutumes qu'est la féodalité, on ne jouit que d'un usage, non du bien lui-même ; en revanche, "le droit romain dit : « Dominium est jus utendi et abutendi, quatenùs juris ratio patitur : la propriété est le droit d’user et d’abuser, autant que le comporte la raison du droit." (Pierre-Joseph Proudhon, Théorie de la propriété). Il serait d'ailleurs intéressant de faire le parallèle entre l'influence de ce droit romain en occident, et le re-développement de l'esclavage pendant l'époque moderne, ou l'évolution des droits de la femme. Rappelons que l'esclavage avait pratiquement disparu avec l'Empire romain.

     Bref, tous ces contes de bonnes femmes prennent naissance avec l'époque moderne, où il s'agit de régler son compte à l'ancien régime et au cléricalisme. Les mêmes motivations animent les historiens propagandistes de la III°, puis la relève vient des historiens marxistes adeptes d'une interprétation dialectique et matérialiste de l'histoire. Ainsi Jacques Le Goff annonce clairement la couleur dans "La civilisation de l'Occident médiéval" : "J'estime que le fonctionnement de la société s'éclaire principalement par les antagonisme sociaux, par la lutte des classes, même si le concept de classe  ne s'adapte pas bien aux structures sociales du Moyen-Âge." Ça c'est de l'histoire !

    Note : la lecture du petit livre de Régine Pernoud, "Pour en finir avec le Moyen-Âge, est une lecture obligatoire.

  • L'Eglise et l'esclavage

    Un petit topo  (en anglais) assez précieux sur ce sujet. A garder sous le coude en tous cas.

  • Lie to me

    "Il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les foutus mensonges, et les statistiques." ('There are three kinds of lies: lies, damned lies, and statistics')*

    * Disraeli, Cité par Mark Twain in "Chapters from My Autobiography".

    Il semblerait que cet apophtegme ait été construit sur le modèle suivant :

    "Il y a trois catégories de témoins : les simples menteurs, les foutus menteurs, et les experts." ('A well-known lawyer, now a judge, once grouped witnesses into three classes: simple liars, damned liars, and experts')*

    * Nature, page 74 Nov 26, 1885 

  • Qu'est ce qu'une nation

    "Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. 

    La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans la passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. On aime en proportion des sacrifices qu'on a consentis, des maux qu'on a soufferts. On aime la maison qu'on a bâtie et qu'on transmet. Le chant spartiate : «Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes» est dans sa simplicité l'hymne abrégé de toute patrie. 

    Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. 

    L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie.

    Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. Mais telle n'est pas la loi du siècle où nous vivons. À l'heure présente, l'existence des nations est bonne, nécessaire même. Leur existence est la garantie de la liberté, qui serait perdue si le monde n'avait qu'une loi et qu'un maître. "
    Renan, Qu'est-ce qu'une nation ?

     

    Que penser donc de cet acharnement à effacer le passé, de sorte qu'il n'en reste plus rien de glorieux mais plus que de la mortification sans fin ? La taubiration des esprits ne détruira pas une nation plus sûrement. 

  • Leçon de l'an Mil

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    Thierry d'Amorbach a vécu aux alentours de l'an Mil à l'abbaye de Fleury, à Saint-Benoit sur Loire, sous la direction d'Abbon. Thierry, né en Allemagne vers 950,
    fait suite à une requête de l'évêque Bernward d'Hildesheim lui demandant des indications sur la vie monastique. Il lui envoie une missive décrivant les règles en cours au sein de son monastère (Le coutumier de Fleury). Ou comment en quelques lignes vaporiser les fantasmes sur le Moyen-Âge.

     

     

     

     

    De la gouvernance et de la bonne manière de servir :
    L'abbé : "Conformément à l'Evangile, il s'efforce toujours de se faire le plus petit parmi les frères, alors qu'il est le premier de tous. Il ne possède rien en propre et n'a rien de plus que les autres, sinon son bâton pastoral et le fardeau de l'autorité. Enfin, pour ce qui est de la nourriture, de la boisson ou du vêtement, il n'a rien de meilleur ni de plus riche que n'importe quel novice illettré, et, si on le lui permettait, il utiliserait plutôt ce qu'il y a de moins bon."

     

    De la considération de l'activité intellectuelle à cette époque :
    L'armarius : "Il garde avec soin la bibliothèque ou local des livres. Il jouit d'une grande considération parmi les frères. Il  classe lui-même, ou confie au soin d'un de ses disciples, les baux à ferme ou les contrats d'échange. C'est à lui qu'incombe le soin des livres et de tout l'équipement du scriptorium. Il est aussi directeur de l'école. 

     

    De l'hygiène :
    Le camérier : Il doit veiller avec soin sur tous les frères du dernier au premier et leur fournir, selon les possibilités du lieu, des vêtements convenables en rapport avec leur rang et leur âge, sans donner aucune occasion de murmures.
    Le camérier doit regarder avec attention ce qu'il y a sur les tables  du dortoir, et lorsqu'il s'y trouve quelque vêtement ou chaussure d'un frère , il doit se hâter de le donner à recoudre à ses serviteurs, si du moins la réparation en vaut la peine. On ne voit jamais, en effet, les moines de la Gaule porter des vêtements rapiécés ou usagés, car leur pays est si abondamment doté de toutes sortes de richesses qu'il leur paraîtrait honteux d'avoir des vêtements sales et usés. Ils ne font pas cela par luxe ou volupté, mais plutôt en action de grâce, par bienséance et honnêteté comme l'homme doit avoir intérieurement le coeur pur.
    Le camérier doit aussi prendre soin de tout ce qui concerne la propreté : il s'occupe du savon et fournit les vases nécessaires. Il fait chauffer les bains pour les malades quand il le juge opportun. Pour la communauté, la coutume est de faire la rasure et la tonsure et de changer de vêtements tous les quinze jours. Les frères ne se baignent pas en commun comme font les séculiers, mais séparément et discrètement dans des cuves entre lesquelles on a tendu des rideaux. C'est au chapitre que, sur l'ordre de l'abbé, ils [les moines] reçoivent chacun du camérier des rasoirs, des peignes avec leur écrins, des couteaux avec leurs gaines, du savon en boîte et tout ce qui est nécessaire.

     

    Du social :
    L'hôtelier des pauvres : A l'entrée du monastère se trouve, conformément à la règle, un hospice pour les pauvres où il y a toujours la literie nécessaire, et du feu pour chauffer l'eau avec laquelle on lave les pieds, et pour réconforter les malheureux transis de froid.
    Il se tient en observation aux portes du monastère et lorsqu'ill voit un pauvre frapper à la porte ou demander l'aumône, immédiatement il se lève avec joie et répond "Deo gratias". Dès qu'il a ouvert la porte, il se prosterne de tout son long comme il le ferait devant le Christ, et non seulement il introduit à l'hôtellerie le nouvel arrivant, mais il va même jusqu'à l'entraîner de force, comme l'évangile le dit : "et ils les contrainrent d'entrer" (Lc 14:23). Puis, après lui avoir lavé les pieds, il met la table et comme un humble serviteur il offre avec largesse et charité tout ce dont les frères disposent. C'est en effet chez nous une coutume bien établie et inviolable, de ne jamais servir aux hôtes et pélerins les aliments ordinaires des serviteurs, mais de leur donner largement ce qui vient de la table des frères.
    Lorsque les pauvres se sont copieusement restaurés, on remplit leurs gourdes de vin à emporter (...) et s'ils ont besoin de vêtements ou de chaussures, l'hôtelier appelle le camérier pour que celui-ci sache ce qu'il faut donner.

     

    De la restauration :
    Le réfectorier : il veille sur le réfectoire et conserve tous les ustensiles en un lieu soigneusement fermé. Il nettoie les table chaque jour, il les recouvre de nappes, (...) il met à chacun une cuillère, il verse le vin dans les coupes qu'ils appellent justitiae, il place les assiettes et donne à chacun la sienne. (...) Il apporte et verse pour les frères du vin pur ou bien épicé, ce qu'ils appellent le clarum, ou encore arômatisé aux herbes, à l'hysope ou au miel, ce qu'ils appellent la vasleda.
    Il étend sur le sol des tapis, il met sur les tables des assiettes propres, il nettoie les carafes. 

     

    Voilà qui traduit bien l'obscurantisme du Moyen-Âge et sa peur panique de l'an Mil - celle-là même qui n'existe que dans les fantasmes de nos contemporains...

    In L'ABBAYE de FLEURY en l'an Mil au temps de saint Abbon, renaissance de Fleury, juin 2004