La foi et la science, il faut qu'elles s'opposent, partout, de tout temps, à tout prix. Voilà le dictat moderne ; sans lui point d'athéisme. L'idée eut paru fort sotte pour les doctes au Moyen-Âge. Pour ceux-là, chanter un psaume ou étudier le livre de la nature, c'est tout un, car c'est le Dieu un qui tout créa avec sagesse : "Qu'ils louent le nom de Yahvé : lui commanda, eux furent créés; il les posa pour toujours et à jamais, sous une loi qui jamais ne passera". La main toute puissante du Créateur n'était pas embarrassée, "elle qui a créé le monde d'une matière informe, qui a tout réglé avec mesure, nombre et poids." Vains et creux, ceux qui, à partir des biens visibles, n'ont pas été capables de reconnaître celui qui leur donne leur être, pas plus qu'il n'ont reconnu l'artisan en considérant ses oeuvres.
La Sagesse préside aux lois du monde, toute la philosophie le sait. La Sagesse, Dieu sait où elle réside : alors il l'a vue, il l'a discernée et même scrutée. Puis il a dit à l'homme : "La crainte du Seigneur, voilà la sagesse. S'écarter du mal, c'est l'intelligence !"
Et comment s'écarter du mal lorsqu'on a mangé du fruit de la connaissance du bien et du mal ? Science sans conscience : ruine de l'âme écrivait Rabelais. Car dès la Renaissance, cette ère humaniste sous laquelle on brûla tant, Francis Bacon doit dire : "En physique, je maintiens qu'un peu de philosophie naturelle, en une première introduction, incline l'opinion à l'athéisme ; au contraire, davantage de philosophie naturelle en un progrès plus profond ramène l'esprit à la religion." (Meditationes sacrae - de atheism", 1597). Dit succintement, comme Louis Pasteur : "un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène." Ainsi, alors que les découvertes modernes expriment toujours plus la toute-puissance et la gloire de Dieu, l'homme y trouva un prétexte : si elles semblent contredire les écritures saintes révélées ; si là où les causes secondes étaient courts-circuitées par l'intervention divine, elles sont à présent expliquées par des lois rationnelles ; alors la science s'oppose à la révélation, et le manifestement vrai confond la fausseté. Mais c'est se méprendre. C'est ne pas comprendre qu'il est inutile pour Dieu de révéler à l'homme une réalité accessible à sa raison et son intelligence.
Ceci étant dit, nous pensons utile de rappeler que Copernic fut chanoine, que la Royal Society, dont Isaac Newton fut l'un des présidents, fut fondée par des théologiens : John Wilkins, Henry Oldenburg, Peter Boyle. Que Galilée lui-même fut un fervent catholique. Que le cardinal Nicolas Steno, posa le premier les principes de la géologie (stratigraphie). Que Louis Pasteur n'a jamais caché sa foi catholique, ce qui lui valut les horions de Clémenceau, tenant fanatique de la génération spontanée. Que le moine Mendel posa les premières lois de l'hérédité; Et enfin que la théorie du Big Bang fut initiée, entre autre, par l'abbé Georges Lemaître. Ces contributions majeures des religieux et croyants à la science moderne prouvent d'elles-mêmes que science et christianisme font au contraire excellent ménage. Et comme dans un solide ménage, la discorde y est conjoncturelle, non structurelle ; et de fait, il n'y eut jamais divorce car toujours il y eut des hommes à la fois très religieux et très scientifiques.
Il est d'ailleurs frappant de constater - à la suite du rêve mécaniciste de Laplace et des positivistes dynamité sous les coups successifs des statistiques de la thermo-dynamique, de l'incertitude de la physique quantique et de l'épistémologie falsificatrice et d'incomplétion - le retour parfaitement décomplexé du transcendant dans le champ scientifique. Ceci est particulièrement vrai chez les astrophysiciens d'ailleurs.
Nous avons dit que la théorie du Big-Bang ou modèle standard, qui aujourd'hui fait consensus, avait été initiée par un religieux belge, Georges Lemaître. C'est probablement l'une des raisons pour laquelle, entre la publication de "L'hypothèse de l'atome primitif, essai de cosmogonie" en 1927, décrivant un modèle d'univers en expansion, et l'acceptation de cette hypothèse avec la découverte du fond diffus cosmologique par Pienzas et Wilson en 1965, il s'est donc écoulé près de 40 ans. C'est que la communauté scientifique d'alors, Einstein y compris, tenait à son univers statique, sans commencement ni fin, si adéquatement hostile à la cosmogonie biblique. La théorie du Big-Bang fait éclater ce schéma aristotélicien. Allez d'ailleurs comprendre pourquoi on refusait dans le domaine astronomique un concept, l'évolution, qui triomphait dans celui de la vie. C'est dire que l'idéologie n'est jamais très loin du scientifique : L'homme est un animal spirituel...
Pour les partisans matérialistes, marxistes ou autres, l'univers et la matière doivent être infinis et de toute éternité. Ainsi David Bohm : "Les partisans du Big Bang sont des traîtres à la science qui rejettent la vérité scientifique pour parvenir à des conclusions en accord avec l'Eglise catholique", Cité ici par ex. Ou encore Sir Arthur Eddington : "L'idée même de commencement me répugne... Je ne crois tout simplement pas que l'ordre du monde tel qu'il est commença par un bang. (...) L'univers en expansion est grotesque, pas crédible, et me laisse de glace." - cf article cité plus haut. Procès Galilée à l'envers...
Il est vrai que pour la première fois, peut-être, dans l'histoire de la science, un modèle cosmogonique semble valider un écrit de la Bible - du moins dans ses grandes lignes.
Ainsi Robert Wilson, l'un des co-découvreur de ce fond diffus en 1963 et prix Nobel : "Si vous êtes religieux selon la tradition Judéo-Chrétienne, il n'existe pas de meilleure théorie de l'origine de l'univers qui puisse correspondre à ce point à la genèse." (Interview with Fred Heeren, Show me God, 1998, p. 157).
George Smoot, responsable du programme Cobe (Cosmic Background Explorer) devant cartographier le fond diffus cosmologique (la première radiation de l'univers, 380 000 ans après le Big-Bang), commente ainsi les premiers résultats :
"Pour les esprits religieux, c'est comme voir le visage de Dieu." Ajoutant ailleurs : "il n'y a pas de doute qu'il existe un parallèle entre le Big Bang en tant qu'évènement, et la notion chrétienne de création à partir du néant." (George Smoot and Keay Davidson, Wrinkles in Times, 1993, p. 189)
Robert Jastrow quant à lui écrit :"Les principales données de l'astronomie et du récit biblique de la Genèse sont les mêmes : la chaînes des évènements conduisant à l'homme a commencé de façon soudaine et brutale, à un instant précis du temps, dans un flash de lumière et d'énergie... La loi de Hubble est l'une des grandes découvertes de la science : c'est l'une des principaux supports scientifiques au récit de la Genèse." (God and the Astronomers, second edition, 1992, p. 14) . Audace.
Arno Penzias, co-découvreur avec Robert Wilson du fond cosmologique : "
“La chose qui m'intéresse le plus à présent est de savoir si l'univers est ouvert ou fermé. S'il est ouvert, c'est-à-dire en expension à partir d'une grande explosion originelle, et les données semblent aller en ce sens, alors il s'agit précisément du type d'univers que les religions organisées ont prédit, pour le dire en terme cru. (...) Les meilleures données scientifiques dont nous disposons sont exactement celles que j'aurais prédites si je n'avais eu à ma disposition que les cinq livres de Moïse, les psaumes, la Bible en un mot." (Cité par Malcom W; Browne, Clues to Universe Origin Expected, New-York Time, 12 mars 1978).
Même Fred Hoyle, celui qui par scepticisme et dérision forgea l'expression "Big Bang" lors d'une interview à la BBC à la fin des années 40, se sent des élans mystiques : "La théorie du Big bang exige une origine récente de l'univers qui invite ouvertement au concept de création." The intelligent Universe, 1983, p. 237
Paul Davies, astrophysicien, écrivit dans le New-York Time un article intitulé "Taking science on faith" en 2007 :
"La notion même de loi de la physique est une notion théologique en premier lieu." Puis : "Il s'ensuit clairement qu'à la fois la science et la foi sont fondés sur la foi, c'est-à-dire sur la croyance dans l'existence de quelque chose d'extérieure à notre univers. (...) Isaac Newton eut le premier (?) l'idée de lois absolues, universelles, parfaites, immuables, à partir de la doctrine chrétienne que Dieu créa le monde et l'a ordonné d'une façon rationnelle. (...) Jusqu'à ce que la science propose une théorie démontrable des lois de l'univers, sa prétention de se passer de la foi est manifestement bidon, [car] il n'y a pas de théorie cosmologique générale qui explique pourquoi les constantes sont ce qu'elles sont, et pourquoi les lois sont telles qu'elles sont."
Enfin nous pouvons conclure par une citation concernant l'infiniment petit et l'organisation de la matière :
"Etant un scientifique éduqué dans le mode de pensée et de langage du XX° et non du XVII°, je ne prétends pas que l'architecture de l'univers prouve l'existence de Dieu ; je dis seulement que cette architecture est compatible avec l'hypthèse selon l'aquelle l'esprit joue un rôle essentiel dans le fonctionnement de l'univers. J'insiste sur le fait qu'il s'agit là d'un pari philosophique, et non d'un raisonnement scientifique." Freeman Dyson, père de la chromodynamique quantique.
Notons comment Freeman Dyson annonce clairement ce qui relève de son champ de compétence scientifique, et ce qui relève d'une réflexion, non aliénée certes, mais simplement d'un autre champ, avec comme horizon l'unification des vérités. Cette honnêteté intellectuelle, alors que tant de scientifiques avancent leurs options métaphysiques masquées derrières leurs soi-disant certitudes scientifiques (faute d'avoir saisi l'essence de la science pour les moins malhonnêtes d'entre-eux) méritent d'être soulignée. L'astrophysicien Trinh Xin Thuan reprend mot pour mot cette précaution de Freeman Dyson : "Je pense que l'univers tend vers la vie et la conscience, et qu'il a du sens parce ce que nous sommes là pour l'observer et appréhender sa beauté harmonique. Mais j'insiste sur le fait qu'il s'agit là d'un pari métaphysique, et non d'un strict raisonnement scientifique." Un pari finement calculé...
Tous ces éminents scientifiques énoncent donc un option positive sur le rapport entre science et foi, ou entre science et philosophie. Pour un croyant, et spécifiquement un chrétien, qui mesure combien les dogmes scientifiques eux-mêmes sont sujets à évolution, voire révolution, il s'exprimera avec avantage négativement ainsi : parmi les théories scientifiques, notamment celle dite du Big-Bang, aucune ne se montre radicalement incompatible avec le livre de la Révélation, la Bible. Bien plus : sans doute jamais dans l'histoire de la philosophie et de la science, la Bible fut moins incompatible avec ceux-là que maintenant, à mesure que progresse le savoir humain. Un peu de science éloigne de Dieu ; mais pour celui qui l'a vue, l'a discernée, l'a scrutée, elle y ramène sûrement.