Le premier grand fiasco de la science positiviste et matérialiste eut comme théâtre le microscopique, qui vit la débâcle des théories de la génération spontanée. Omnes vivo ex vivo : le paradigme s'est toujours vérifié jusqu'à présent.
Le deuxième grand fiasco est d'ordre astronomique, avec donc pour cadre l'immensité du cosmos. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le cosmos, du grec signifiant à la fois "ordre" et "parure", induit l'idée d'une intelligence ou logos et s'oppose vigoureusement à l'arbitraire du pur hasard des atomistes. Cicéron aborde la question dans le "De natura deorum", Livre II chp XXXV et suivants, et le débat se poursuivra cahin-caha jusqu'à Jacques Monod dans "Le Hasard et la Nécessité", énième ressuscée atomiste où les options philosophiques douteuses avancent masquées derrière une théorie (qui n'est que cela) qui se veut scientifique. Confusion des langages.
Si les connaissances en astronomie ont bien progressé depuis Galilée et l'invention de la lunette (utilisant des lentilles), ou Newton et l'invention du téléscope (utilisant des miroirs), certains objets diffus, les nébuleuses, font l'objet de multiples théories : amas d'étoiles, étoiles en formation, compositions et position hors ou dans notre galaxie. Les techniques d'observations et de la spectrométrie affinent les hypothèses, mais beaucoup d'innconnues demeurent.
En 1913, Vesto Slipher * découvre que certaines de ces "nébuleuses" produisent un décalage spectrale vers le rouge, preuve qu'elle s'éloignent de l'observateur (effet Doppler). Pour l'une d'elle il écrit : "Cette nébuleuse s'éloigne du soleil à la vitesse stupéfiante de 1100 km/s." Quant à l'estimation des distances de ces "nébuleuses" et leur positionnement extra ou intra galactique, il n'existe alors aucun moyen de produire une réponse définitive. Dans un article de 1917, étudiant la rotation des "nébuleuses spirales", qui seraient des étoiles en formation selon l'hypothèse la plus retenue à cette époque, il pose l'hypothèse qu'elles pourraient être en expansion (le diamètre de la "spirale" augmente avec le temps). A l'inverse donc d'un objet qui se condense pour devenir étoile : "La grande vitesse de rotation laisse penser, dans certains cas du moins, que la nébuleuse est en expansion, conséquence de sa rotation. En effet la forme de disque et les bras en spirale de ces nébuleuses implique une action, passée ou présente, de forces centrifuges." Significatif est le discours prononcé alors que lui est remis la médaille d'or de la Royal Astronomical Society de Londres, en 1933: "Dans une série d'études sur la vitesse radiale des ces îles-galaxies, il posa les fondations de la grande structure de l'Univers en expansion (...). Si les cosmogonistes actuels doivent composer avec un univers en expansion en fait comme en imagination, au prix de bien des difficultés une bonne part du blame initiale doit être assumé par notre médailliste."
En 1917 Einstein étudie les conséquences de la Relativité Générale sur la forme et la structure de l’Univers. Il reprend alors certains postulats, certains toujours admis actuellement d'ailleurs : homogénéité (des caractères de l'univers comme température, densité de matière) et isotropie (univers identique à grande échelle de l'univers quelle que soit la direction d'observation) de l'univers, son caractère fini, clos et statique (par ajout de sa fameuse constante cosmologique)**. Une manière de mise à jour du modèle aristotélicien. En 1922 Alexandre Friedmann propose le premier un modèle d'univers en expansion sur la base des équations d'Einstein, sans prise en compte d'éléments observables. Vers la même époque, Hubble obtient une première estimation précise de la distance de ces "nébuleuses spirales", et en déduit qu'elles sont trop éloignées pour faire partie de notre galaxie ; que de fait ces nébuleuses constituent des galaxies à part entière. Les dimensions de l'univers sont repoussées à des distances considérables. En 1929, il étudie le rapport entre la distance et le décalage spectrale vers le rouge de ces galaxies, observé auparavant par Slipher donc.
Apparaît alors sur scène l'abbé Georges Lemaître, prêtre, mathématicien et physicien belge, qui publie en 1927 "Un Univers homogène de masse constante et de rayon croissant rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extra-galactiques." Tout est à peu près dit dans le titre. Reprenant les élements de la relativité d'Einstein, combinés aux observations spectrales des "nébuleuses", Lemaître pose la théorie d'un univers hésitant, entre période d'expansion et statisme. La communauté scientifique, Einstein en tête, reçoit cette proposition de modèle assez froidement. Lemaître persévère, et publie en 1933 "Discussion sur l'évolution de l'Univers", et surtout en 1946 "L'Hypothèse de l'atome primitif" - hyptohèse déjà discutée en 1931 à l'occasion du centenaire de la British Association for the Advancement of Science : "à l'origine, toute la masse de l'univers existait sous la forme d'un atome unique". Partant du principe d'un univers en constante évolution et en expension, il cherche à remonter le temps, comme un film passé à l'envers, en imaginant l'univers dans sa condition initiale de densité presque infinie - son atome primitif. Qui dit densité dit énergie/chaleur/radiation : il postule alors l'hypothèse d'un rayonnement "fossile" témoin cette période initiale. Lemaître combine donc trois disciplines : la physique théorique d'Einstein, l'astronomie expérimentale d'Hubbles et la thermo-dynamique.
Mais la théorie des origines de l'univers de Lemaître se rapproche par trop du concept théologique de Création. Il va avoir contre lui, notamment, tout ce que le monde marxiste compte de scientifiques comme David Bohm : "Les partisans du Big Bang sont des traîtres à la science qui rejettent la vérité scientifique pour parvenir à des conclusions en accord avec l'Eglise catholique".
Nous avons aussi mentonné Einstein, qui adresse à Lemaître un "vos mathématiques sont correctes mais votre physique est abominable", lors de la conférence de Solvay en 1927. Sir Arthur Eddington, l'ancien maître à Cambridge de Lemaître : "L'idée même de commencement me répugne... Je ne crois tout simplement pas que l'ordre du monde tel qu'il est commença par un bang. (...) L'univers en expansion est grotesque, pas crédible, et me laisse de glace." L'astrophysicien Fred Hoyle ridiculise l'idée d'atome primitif en forgeant l'expression de Big-Bang pendant une émission de la BBC en 1949. Il ajoute, ne manquant pas de souffle : "La raison pour laquelle les scientifiques aiment le "Big-Bang" c'est parce que l'ombre de la Genèse plane sur leur tête. "Croire aux premières pages de la Genèse est une chose profondément gravé dans le psychisme de la plupart des savants." (cité par Adam Curtis, A mile or two off Yarmouth, BBC, 24/12/212).
Bref, toute cette théorie physique sent trop la théologie, et elle prend en conséquence la direction du placard.
Pourtant George Gamow, qui a étudié en Russie avec son compatriote Alexandre Friedmann, prend le relais de Lemaître, et affine le modèle en publiant en 1948 un article portant sur la formation des premiers atomes (nucléo-synthèse) d'hydrogène et d'hélium dans les conditions initiales de l'univers. Puis le Big-Bang retombe dans son quasi anonymat. Ce n'est qu'en 1965 et la découverte par Pienzas et Wilson du fond diffus cosmologique, à une température certes plus froide que ne l'avait prédite Lemaïtre et Gamow (3,5 kelvin, soit -269,5°C), que la communauté scientifique finit par se ranger unanimement derrière le modèle d'univers en évolution et expansion. Soit près de quarante ans après les premières publications de Lemaître.
* pour la petite histoire, l'utilisation de spectrométrie par Slipher lui permit déjà de détecter la présence de vapeur d'eau dans l'atmosphère de Mars - cf prix Lalande 1919, remis par l'Académie des Sciences de Paris.Pour une étude détaillée de la contribution de Slipher, voir "Vesto Melvin Slipher (1875-1969) et la naissance de
l’astrophysique extragalactique", Alain Brémond, Thèse, 2008.
** "…cette dernière n’est nécessaire que pour rendre possible une répartition quasi statique de la
matière, laquelle correspond au fait que les vitesses des étoiles sont petites", écrit alors Einstein.