Comment en est-on arrivé, la main sur le coeur, à un tel degré de barbarie ?
Comme souvent Dostoïevsky a l'explication : il y a deux visions de l'homme. L'une est postiviste et nie l'âme. L'autre est humaniste et reconnait l'âme. En dernier lieu c'est la vision mutilée de l'homme, la vision sac de viande qui l'a emportée.
Extrait des "Possédés" de Dostoïevsky, dialogue entre Chatov, le "père", et Arina Prokhorovna, la sage-femme :
C - Le secret de l’apparition d’un nouvel être est un grand mystère, Arina Prokhorovna, et quel dommage que vous ne compreniez pas cela ! (...) Il y avait deux êtres humains, et en voici tout à coup un troisième, un nouvel esprit, entier, achevé, comme ne le sont pas les oeuvres sortant des mains de l’homme ; une nouvelle pensée et un nouvel amour, c’est même effrayant... Et il n’y a rien au monde qui soit au-dessus de cela !
A - Eh ! qu’est-ce qu’il raconte là ! C’est tout simplement le développement ultérieur de l’organisme, et il n’y a là rien de mystérieux. A ce compte, n’importe quelle mouche serait un mystère *. Mais je dis une chose : les gens qui sont de trop ne devraient pas venir au monde.
Voici ce que notait l'écrivain dans ses carnets :
- "La morale livrée à elle même ou à la science peut se dénaturer jusqu'à l'extrême abomination. - jusqu'à la réhabilitation de la chair et le meurtre des nouveau-nés."
- "Brûler les nouveau-nés deviendra une habitude, car tous les principes moraux en l'homme abandonné à ses propres forces sont conventionnels." (ie ne sont que des conventions.)
Prophétique assurément.
Pour Dostoïevsky, il y a, à la source de toutes les catastrophes humaines de l'histoire, un point commun : l'oubli de Dieu. "Sans Dieu, tout est permis." Seul Dieu objective le bien et le mal. En conséquence, si Dieu est mort comme le prétendait un faux prophète, alors chacun se construit son bien et son mal, à sa mesure.
Où l'on voit par ailleurs que sans Dieu, l'homme perd son émerveillement, se laisse prendre dans les filets de la grande lassitude, de l'absurdisme, et pour finir du cynisme. Il est alors dans la haine de soi et des autres ; dans le matérialisme.
Jugez :
Psaume :
C'est toi qui m'as formé les reins, qui m'as tissé au ventre de ma mère;
je te rends grâce pour tant de prodiges merveille que je suis, merveille que tes œuvres.
Mon âme, tu la connaissais bien, mes os n'étaient point cachés de toi, quand je fus façonné dans le secret, brodé au profond de la terre.
Mon embryon, tes yeux le voyaient; sur ton livre, ils sont tous inscrits les jours qui ont été fixés, et chacun d'eux y figure.
Mais pour moi, que tes pensées sont difficiles, ô Dieu, que la somme en est imposante !
Pensée positiviste :
L'homme "est tout simplement le développement ultérieur de l’organisme, il n'y a là aucun mystère."
L'homme n'est bien évidemment pas que cela. Affirmer que l'homme n'est qu'un paquet de viande, c'est commettre l'erreur fatale de prendre la partie pour le tout. Et les faux pâtres qui nièrent l'âme ont toujours conduit l'homme au bord du gouffre.
Sans Dieu point d'humanisme, si ce n'est au mieux un humanisme artificiel construit sur du sable, qui s'envolera au moindre vent mauvais.
* Depuis près d'un siècle que biologistes et généticiens s'abîment les yeux sur la drosophile ; oui, cet insecte "diptère, holométabole, radiorésistant" et insignifiant reste sous bien des aspects un mystère.