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De nos démocraties modernes

Elles sont gouvernées par deux dictatures :

La première est antinomique et pourtant très réelle : c'est la dictature de la liberté. La liberté du moi hypertrophié, nuisible, qui doit s'imposer aux autres.
La capacité de nuisance est devenue le dernier snobisme : la démontrer publiquement, le must de la vie sociale. Sorte de réflexe élitiste en somme : je nuis, donc je suis au dessus du lot, et voilà mes quartiers de noblesse. Et si l'on me reproche ma capacité de nuisance, je vous subjugue et je vous submerge à coup de liberté de ceci et de cela.

Cette liberté est évidemment inconstitutionnelle ; le seule légale -et supportable - est celle qui "consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui."
Mais qui se soucie encore de loi ? La loi s'impose à qui la respecte uniquement ; ceux qui crachent dessus peuvent compter sur la bienveillance du juge (probablement parce qu'il ne croit plus lui-même dans la loi des hommes).

La deuxième dictature est celle de l'obscénité : nous sommes factuellement non en démocratie, comme on le rêve, mais en pornocratie (les deux signifient-elles la même-chose ?). On nous oblige à nous prosterner devant le laid, le vulgaire, le dépravé, le répugnant, le zéro absolu. On badigeonne le tout sous le masque de l'art, de la modernité, ou de la liberté d'expression. Il y a dans nos démocraties une culture de la médiocrité et une prime à la nullité. Tout ce qui est doit être égal : il faut donc tuer à tout prix le talent et stériliser le génie. Sociétés incapables d'en féconder aucun, elles appellent beau ce qui est laid, lumineux ce qui est ténébreux,art ce qui est incapacité. Elles doivent maintenir l'illusion car l'homme a besoin du beau. Elles entretiennent en conséquence la confusion entre signifiant et signifié contraire, croyant par cet escamotage transcender la médiocrité. Imposture, prestidigitation. Médiocre même dans la médiocrité, elles vendent l'art au poids.

Il ne peut en aller autrement lorsque tout le fondement tient sur une logique de production. Produire en masse implique raboter, araser, lisser, aplanir, bref, égaliser. L'égalisation ne pouvant se faire que par le bas (par le haut impliquerait un investissement trop long et trop ruineux), la société de production à tout intérêt à rendre médiocre par le biais de la désacralisation et de la despiritualisation. On cache les signes ostensibles de religion, on exhibe des effigies outrageuses de pornographie. Et l'on vous dit : citoyens, voilà votre nouveau petit dieu ; prosternez vous devant lui, et adorez le.

Tout ce que touche cette société est, par une sorte d'anti-alchimie, souillé. Cela n'est pas étonnant : son but ultime est de produire des ordures.

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