« Ne croyez point ceux qui vous diront que la jeunesse est faite pour s’amuser : la jeunesse n’est point faite pour le plaisir, elle est faite pour l’héroïsme ». Paul Claudel in Correspondance de Jacques Rivière et Paul Claudel, 1907-1914, Plon, 1926
En 1907, Paul Claudel, diplomate en Chine et âgé de 39 ans, reçut une lettre qui commençait ainsi :
"Depuis plus d'un an je vis par vous et en vous ; mon soutien, ma foi, ma perpétuelle préoccupation, c'est vous qui l'êtes. Je vous ai adoré comme Cébès Simon ; je me suis prosterné devant vous, j'ai cherché votre âme de mes mains suppliantes. Mais j'attends de vous une autre certitude, une autre réponse que celle donnée par Tête d'Or. C'est pourquoi, après un long recueillement, je me décide enfin à vous écrire. La réponse, mon jeune aîné, ô vous en qui je me suis confié, la certitude, la réponse, je la veux. Je veux que vous me brutalisiez, que vous me jetiez à terre, que vous m'injuriiez ; la réponse.
Me voici : Vingt ans, comme tout le monde, sans bonheur ni malheur spécial ; mais une inquiétude, une inquiétude terrible, qui veille en moi dès ma vie, et me soulève sans cesse, et sans cesse m'empêche de me satisfaire ; une inquiétude qui me soulève en transports de volupté, en transports de désespoir, une inquiétude infatigable. J'ai cherché dans les livres, certains m'ont ravi, je les ai aimés comme des frères plus âgés et qui savaient mieux, je les ai crus".
Le jeune homme parle ensuite de l’influence de Barrès et d’André Gide, puis de sa lecture depuis un an de Tête d’Or et de Partage de midi, de Claudel lui-même.
"Un an ! Et je me demandais à la fin Qui vous donnait cette sérénité admirable, cette force et cette certitude, cette confiance, cette joie. Maintenant j'ai compris. Je sais que Dieu vous assiste et que vous vivez en Dieu. Mais alors ce cri, cette inquiétude, que vous aviez endormis en moi, se sont réveillés, révoltés. Encore j'ai senti mon angoisse m'assaillir. Et c'est pourquoi je me suis résolu de vous demander la paix".