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  • Métaphysique de l'esthétisme

    Très intéressant article de la BBC sur la relation science-foi.

    Ainsi cette citation de lord Kelvin (1824-1907), physicien britannique, inventeur du zéro absolu entre autre :
     "I have long felt that there was a general impression that the scientific world believes science has discovered ways of explaining all the facts of nature without adopting any definite belief in a Creator. I have never doubted that impression was utterly groundless.

    "The more thoroughly I conduct scientific research, the more I believe science excludes atheism. If you think strongly enough you will be forced by science to the belief in God, which is the foundation of all religion."

    soit : "J'ai longtemps eu le sentiment qu'il y a avait cette opinion répandue que le monde scientifique avait découvert une méthode pour expliquer tous les faits de la nature, sans avoir à se prononcer sur une croyance certaine en un Créateur. Je n'ai jamais douté que cette impression fut absolument sans fondement."

    "Plus j'approfondis mes recherches scientifiques, plus je pense que la science exclut l'athéisme. Si vous pensez sérieusement, vous serez forcés par la science de croire en Dieu, ce qui est le fondement de toute religion."

    L'article mentionne ensuite une étude sociologique menée par le professeur Elaine Ecklund sur les scientifiques des plus grandes universités de recherche aux USA : selon cette étude, 48% des scientifiques interrogés ont des convictions religieuses, tandis que 75% pensent que la religion véhicule des vérités importantes.

    Le professeur Lennox enseigne les mathématiques à l'université d'Oxford :
    "Pour moi, en tant que chrétien, la beauté des lois scientifiques ne font que renforcer ma foi en une force divine et intelligente en action. L'une des doctrines la plus fondamentale du Christianisme, c'est que l'univers a été conçu selon un plan rationnelle et intelligible."

    "C'est la beauté qui sauvera le monde" répétait Dostoïevski.
     En attendant Kelvin repose à l'abbaye de Westminster, en compagnie d'un certain Isaac Newton.

  • La grande fabrique (III) Max Weber - Première partie : la cage d'acier

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    Par moi on va dans la cité dolente,

    Par moi on va dans l’éternelle douleur,

    Par moi on va parmi la gent perdue.

    ...

    Avant moi, rien n’a jamais été crée

    Qui ne soit éternel, et moi je dure éternellement.

    Vous qui entrez laissez toute espérance

     

    Dante, La Divine Comédie, l’Enfer, chant III, 1-9

     

    "Pour les derniers "hommes" de ce développement culturel, la formule qui suit pourrait se tourner en vérité : "Spécialistes sans esprit, jouisseurs sans coeur : ce néant s'imagine s'être élevé à un degré d'humanité encore jamais atteint." Max Weber, l'Ethique protestante et l'Esprit du capitalisme" (1905).

    Weber propose un double diagnostic : une perte de liberté due au développement du capitalisme industriel et de l'Etat bureaucratique, ainsi qu'une perte du sens lié au désenchantement du monde  - c'est-à-dire, nous serions véritablement contraint de faire des choses auxquelles on ne peut plus trouver de signification ; et si elles ne font plus sens, c'est parce que nous ne sommes plus libres de les accomplir ou non.

    Le thème de la "cage d'acier" est le pivot du diagnostic de Weber - cette structure économico-bureaucratique qui a enfermé l'homme, et contre laquelle il n'y a pas d'échappatoire.

    Son diagnostic est centré sur l'analyse historique des deux principaux facteurs de perte de liberté : lae capitalisme, puissance qui s'enracinerait dans l'éthos ascétique du travail professionnel, et l'Etat dont l'évolution converge avec celle du capitalisme, conduisant à la bureaucratisation de la société. En résulte, comme chez Tönnies et Simmel, une rationalisation/reification de la vie et la perte de sens.

    Pour Weber les historiens utilisent trop souvent des concepts (ou idealtypes) qu'ils se gardent de définir. Cela dérive pour lui d'une fausse compréhension du statut des concepts : on croit qu'ils devraient être des copies fidèles de la réalité, alors qu'ils ne sont que des constructions que l'esprit se donne pour comprendre (cf aussi Kant). La construction d'un idéaltype procède à partir du réel, et par abstraction à la synthèse de ce qui est commun à plusieurs phénomènes concrets (ainsi pour le concept d'Etat, il s'agit de faire la synthèse entre les points communs aux différentes formes concrètes que peut prendre un Etat ; il s'agit donc de discerner ce qui semble tenir de l'essentiel, et d'éliminer ce qui relève de l'accidentel. 

    Weber défend en outre l'idée de "neutralité axiologique", qui doit éviter deux écueils : contre les militants qui déforment la réalité parce qu'elle dérange leurs idéaux, et contre les savants qui masquent leurs positions axiologiques en prétendant "laisser parler les faits". "Partout où l'homme de science intervient avec son propre jugement de valeur, il cesse de comprendre pleinement les faits." On pense à toutes ces générations de scientifiques qui firent du matérialisme athée ou de la théorie du progrès un fait avéré, quand il ne s'agit que d'une option philosophique (Russel, Shaw, Dawkin etc.)

    Capitalisme et ascétisme

    Weber cherche à construire la généalogie de la valeur "travail", placée en haut de l'échelle tant par le Marxisme que par l'ordre bourgeois. Dans son ouvrage "L'Ethique protestante et l'Esprit du capitalisme", Weber tente d'expliquer ce qui constitue l'"esprit" du capitalisme moderne : l'idée qu'il faut (d'un point de vue moral) travailler, et exercer avec sérieux et constance une profession déterminée, comme s'il s'agissait d'une vocation. L'habitus centré sur l'accomplissement du devoir professionnel provient de la sécularisation de l'ascétisme monacal par les protestants. Ce serait dans les monastères que le travail en tant qu'obligation morale a été inventé, sous le nom "d'industria".

    Le système et son "esprit" : l'éthique du travail professionnel

    Pour Weber, ce qui distingue le capitalisme moderne des autres formes de capitalismes ayant existé, ce n'est pas la cupidité ou le calcul rationnel, mais une éthique du travail : des entrepreneurs et des salariés prêts à dédier leur vie pour le travail etqui font du travail une finalité en soi. Le capitalisme moderne n'est pas seulement une volonté de profit orienté par le calcul : ainsi le capitalisme moderne ne se serait pas développé en Italie, faute de "coscienziosità", par opposition à l'Allemagne [le fait que le Bavière soit majoritairement catholique ne semble pas avoir effleuré Weber que la cause serait dans ce cas plus culturelle que cultuelle]. Pour Weber, la rationalité économique n'est que l'épiphénomène d'une rationalité éthique plus générale. L'esprit typiquement capitaliste est un ethos systématiquement centré sur le travail [mais alors on comprendrait moins l'échec du Marxiste en pays protestant comme l'ex Allemagne de l'Est, dont l'éthique est aussi centrée sur le travail ; l'appât du gain joue donc un rôle clé]. Il y a pour Weber la mise en place d'un style de vie méthodique organisée autour de la quête réglé du gain par l'exercice consciencieux d'un métier et l'épargne continue - l'idée spécifique du devoir ordonné à la profession. cela s'oppose à la vision "traditionaliste" du travail, qui n'est vu que comme le moyen de maintenir un mode de vie, et non de l'accroître sans cesse.

    Généalogie du travail mortifère

    Cette éthique est parfaitement irrationnelle, contraire à l'inclination humaine naturelle, et n'a  pu s'imposer qu'à l'issu d'un travail d'inculturation : ce serait l'éthique protestante qui aurait fait sortir les hommes du monde de l'indolence (quid du travail de la terre ?) pour les faire entrer dans celui de la performance. Weber remonte à Luther, et à son élargissement du terme "Beruf", qui dans la bible désigne la vocation, l'appel, pour désigner l'activité de tout à chacun ici-bas. Pour plaire à Dieu, il faut accomplir ses obligations dans le monde, quelle que soit l'activité ; il s'agit de rester dans sa profession et dans l'état dans lequel Dieu a placé l'homme une fois pour toute. Le protestantisme ascétique (calvinisme, méthodiste) fait jouer de l'implication dans le travail le rôle d'une mise à l'épreuve de la foi et la confirmation de l'état de grâce, la réussite en ce monde devenant signe d'élection. Ainsi le moteur n'est pas celui, rationnel mais poussif, du gain, mais celui, surmultiplié et irrationnel, du salut de son âme. Cette conduite se sédimente ensuite en habitus, et ainsi naît l'homme de la profession-vocation.

    Le protestantisme, libérant par ailleurs les tabous autours de l'argent, fit le lit du capitalisme moderne en créant l’ethos dont la machinerie capitaliste a besoin.

    Le mouvement cependant au départ nourrit par l'éthique, finit par se nourrir de lui-même ; le protestantisme ne fut que l'étincelle primordiale ayant permis de lancer la dynamique (synergie); ceux qui ne progressaient pas ne pouvaient que régresser ; pris dans la logique d'un ethos, le processus capitaliste de rationalisation devint une nécessité, une condition de survie : "quiconque ne s'adapte pas, dans sa conduite de vie, aux conditions de la réussite capitaliste, sombre ou n'arrive pas à faire surface." Et c'est ainsi que le monde moderne est devenu cette cage d'acier (Stahlharte Gehäuse) dans laquelle nous sommes tenus de vivre. L'accumulation des richesses a en même temps favorisé la sécularisation de la valeur travail ; le gain remplaça le salut - mais la cage, le système subsiste.

    Weber ne critique pas l'ascétisme en tant que tel ; il critique le fait que l'ascétisme moderne ne résulte plus d'un libre choix personnel et n'a plus la moindre signification éthique ; il n'est plus qu'un impératif structurel imposé aux individus nés dans la cage d'acier du capitalisme industriel. L'homme est là pour ses affaires, et non l'inverse. L'ascétisme s'est donc maintenu sous la forme d'une obligation extérieure. Mais l'individu moderne se retrouve scindé entre l'ascèse professionnelle imposée, et la quête de plaisir qui l'occupe une fois sa tâche achevé ; entre le fait de devoir être un spécialiste sans esprit, d'un côté, tout en étant un jouisseur sans cœur de l'autre. La sécularisation a fragmenté l'homme. Le capitalisme a fini par produire un monde marchand étranger à toute exigence de charité et de fraternité ; il constitue un cosmos qui repose sur une base mécanique avec ses propres lois. Il n'arrêtera sa course folle qu'une fois le dernier quintal de carburant consommé.

    Il est intéressant de noter que Weber ne fait pas de la technique le point de départ, la cause du développement capitaliste, la genèse du monde moderne - non seulement parce que la technologie est elle-même conditionnée par l'économie, mais parce qu'avant la révolution industrielle, il fallut une révolution industrieuse, un changement d'attitude à l'égard du travail. Ce n'est donc ni l'économisme, ni un déterminisme technologique qui furent à l'origine de cela.