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  • Du père

    Le point commun de tous les héros nihilistes de Dostoïevski : l'absence, d'une manière ou d'une autre, du père.
    Le père est celui qui à la fois porte la semence et la met en terre ; il ancre le nouvel être dans une généalogie et dans un sol, précieux tuteurs pour le développement de ce qui deviendra un homme.

    Aussi le nihilisme n'est pas tant le produit d'une génération qui s'est détachée du sol, mais le produit d'une dé-génération par détachement du père.

    Gare à ceux qui veulent tuer le  père, leur créature se retournera contre eux.

  • De nos démocraties modernes

    Elles sont gouvernées par deux dictatures :

    La première est antinomique et pourtant très réelle : c'est la dictature de la liberté. La liberté du moi hypertrophié, nuisible, qui doit s'imposer aux autres.
    La capacité de nuisance est devenue le dernier snobisme : la démontrer publiquement, le must de la vie sociale. Sorte de réflexe élitiste en somme : je nuis, donc je suis au dessus du lot, et voilà mes quartiers de noblesse. Et si l'on me reproche ma capacité de nuisance, je vous subjugue et je vous submerge à coup de liberté de ceci et de cela.

    Cette liberté est évidemment inconstitutionnelle ; le seule légale -et supportable - est celle qui "consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui."
    Mais qui se soucie encore de loi ? La loi s'impose à qui la respecte uniquement ; ceux qui crachent dessus peuvent compter sur la bienveillance du juge (probablement parce qu'il ne croit plus lui-même dans la loi des hommes).

    La deuxième dictature est celle de l'obscénité : nous sommes factuellement non en démocratie, comme on le rêve, mais en pornocratie (les deux signifient-elles la même-chose ?). On nous oblige à nous prosterner devant le laid, le vulgaire, le dépravé, le répugnant, le zéro absolu. On badigeonne le tout sous le masque de l'art, de la modernité, ou de la liberté d'expression. Il y a dans nos démocraties une culture de la médiocrité et une prime à la nullité. Tout ce qui est doit être égal : il faut donc tuer à tout prix le talent et stériliser le génie. Sociétés incapables d'en féconder aucun, elles appellent beau ce qui est laid, lumineux ce qui est ténébreux,art ce qui est incapacité. Elles doivent maintenir l'illusion car l'homme a besoin du beau. Elles entretiennent en conséquence la confusion entre signifiant et signifié contraire, croyant par cet escamotage transcender la médiocrité. Imposture, prestidigitation. Médiocre même dans la médiocrité, elles vendent l'art au poids.

    Il ne peut en aller autrement lorsque tout le fondement tient sur une logique de production. Produire en masse implique raboter, araser, lisser, aplanir, bref, égaliser. L'égalisation ne pouvant se faire que par le bas (par le haut impliquerait un investissement trop long et trop ruineux), la société de production à tout intérêt à rendre médiocre par le biais de la désacralisation et de la despiritualisation. On cache les signes ostensibles de religion, on exhibe des effigies outrageuses de pornographie. Et l'on vous dit : citoyens, voilà votre nouveau petit dieu ; prosternez vous devant lui, et adorez le.

    Tout ce que touche cette société est, par une sorte d'anti-alchimie, souillé. Cela n'est pas étonnant : son but ultime est de produire des ordures.

  • De la contingence des continents ; de l'incontinence intellectuelle qui s'ensuit

    Les continents - et plus généralement toutes frontières - sont de pures conventions : leurs définitions ne reposent sur aucun critère objectif, d'où un décompte variable, de trois à sept selon les époques et la géographie. Donc, puisque le critère est subjectif, rien n'empêcherait l'Union Européenne d'intégrer un pays traditionnellement non-européen comme la Turquie.

    Rien sauf la cohérence d'une subjectivité geo-historique, sémantique, et culturelle :

    => subjectivité geo-historique : la Turquie est en Asie dite Mineure. D'aussi loin que date cette science qu'on appelle géographie, la partie orientale de l'actuel détroit des Dardanelles a toujours été appelée "Asie", et son côté occidental "Europe". Si l'on parle d'Europe, c'est donc obligatoirement pour la distinguer de l'Asie - autrement on dirait : "Eurasie" (par exemple).

    => subjectivité sémantique : les pères fondateurs de l'Europe moderne, dans leur esprit, ont voulu une union "européenne", non une Union Eurasienne.
    Quel insensé voudrait faire l'Europe en Asie ? Si on la construit aussi de l'autre côté du détroit, alors il faut dissoudre l'Europe, car ce serait reconnaître de fait son inexistence. Ce n'est pas là le moindre des paradoxes de ces pro-asiates qui s'auto-proclament les plus européens du monde *. Ils cherchent en réalité sa destruction ; ils nient l'Europe qu'ils adulent fanatiquement de conserve (sans savoir d'ailleurs ce qu'ils adulent - je crains qu'ils n'adulent négativement ou par défaut) : qui trop embrasse mal étreint et étouffe très sûrement.

    => subjectivité culturelle : la Turquie, avant elle l'Empire Ottoman, n'a en rien - ou de façon insignifiante - contribué à faire l'Europe moderne. Ce n'est ni un blâme, ni un sarcasme, ni une affliction , c'est un simple constat  : quels sont les peintres, sculpteurs, philosophes, écrivains, intellectuels, scientifiques ottomans ou turcs qui ont influencé et fait progresser l'Europe vers sa modernité ? Citez moi à chaud le compositeur, le philosophe, le peintre ?
    Au contraire, les Ottomans ont volontairement aboli tous les référents majeurs européens : grecs, latins, et judéo-chrétiens. Ils ont suivi leur propre chemin de civilisation, c'est à leur honneur et grand bien leur fit.

    Si l'on veut continuer avec cette idée d'union européenne, il faut impérativement définir des limites qui soient cohérentes avec, précisément, ce mot "Europe" et toutes ses connations.
    Sinon on parle d'autre chose. Et je ne suis pas sûr qu'on réussira davantage à inculquer aux citoyens une identité eurasienne (qui pourrait tout aussi bien dans la même logique inclure l'Afrique d'ailleurs) qu'une identité bêtement européenne.

    * Voilà ce que voudraient ces négateurs : ils voudraient que nous soyons "européen en général ; or il n'existe pas d'européen en général." - disait Dostoïevski (par ailleurs grand euro-sceptique). 

  • Des orphelins de causes

    Quoi de plus pathétiques que tous ces combattants orphelins de causes, abandonnés sur leur île déserte ? Leur guerre est terminée depuis belle lurette mais ils le nient férocement. Ils s'escriment à présent contre des moulins à vent. Leurs vociférations sonnent dans le vide, leurs gesticulations font pantomine. Ils moulinent dans une masse sourde de leur perpétuel et invariable tintatamarre.

    Ils sont usés, râpés, élimés ; leur discours est une bastide croulante, leurs mots des pointes effritées. Ils envoient à deux pieds, ils ne risquent plus de blesser qu'eux-mêmes.

    Chez eux tout est grippé, corrodé, tétanisé. Tout grince, geint, ou crisse. La poudre sent le mouillé, leurs balles mêmes sont rouillées ; elles ne tuent plus que par inadvertance, et par tétanos.

    Ils sont pathétiques. Ils ont besoin d'une décharge, d'un ministère, celui des orphelins de causes.