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Société - Page 36

  • Le baiser de Juda

    Vous l'aurez sans doute remarqué : lorsqu'on veut assassiner un principe, on commence d'abord par lui faire allégeance en grande cérémonie.

    Ainsi la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse, TITRE Ier, Art. 1er. -
    "La loi garantie le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi. "

    Voilà donc le schéma, immuable : on embrasse un grand principe pour mieux le trahir tout de suite après (ce qu'on nomme "dérogation" ou "exception").

    Autre exemple avec le Le texte 313, adopté par l'Assemblée Nationale le 21-07-2009 relatif au travail du dimanche.
    Son préambule indique :
    "PROPOSITION DE LOI réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires (...)"
    On reprend donc avec panache l’article L. 3132-3 du code du travail :  "Dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche." Suit toute une liste de dérogations...

    On nous prépare la même chose avec la révision de la loi bioéthique : nulle doute que des grands principes y seront claironnés par toutes sortes de gens se défendant de malveillance. Il leur suffira de protester de leurs bonnes intentions et de leur sincérité.
    Vigilance donc. Soyez sûr qu'on vous conviera aux bals des hypocrites, avec le mot "principe" que ces indécents tenteront d'accoupler sans pudeur à celui de "modernité" ou encore "tabou" (comme si la modernité était en soi une valeur, comme si "briser un tabou" était une fin en soi) .

    Qui trop embrasse mal étreint, mais étouffe bien plus sûrement.

    Note : je me demande si cette propension en France à la dérogation, à l'exception etc. vis-à-vis de la loi ne vient pas de la grammaire... On nous inculque dès le primaire que les règles de grammaire les plus strictes souffrent aussitôt d'exceptions en tout genre.

  • Le pourceau, le dindon et le blaireau

    ...ou du gueux qui devint tyran (très modeste hommage à Jean de La Fontaine et George Orwell)  :

    Un pourceau de basse-cour somnolant dans sa soue,
    Dérangé par le coq et ses cris de cochons
    Qu'on égorge,  trouva enfin la solution :
    Il grogna, se leva, et le pluma, d'un coup.


    Aussitôt dans la basse-cour c'est la stupeur,
    De partout on cancane, on caquète, on jabote,
    On s'attroupe, on sussure, on papote,
    On forme le syndic, on pérore ce malheur :

    C'est très cher, un attentat !
    Que dites-vous ? un coup d'Etat !
    Voyez la brute épaisse,fruste, comme il dépèce;
    Barabare sans foi ni loi, il tue, mais de quel droit ?

    Du droit que je me prends, rétorqua son altesse,
    En vertu de mon for, chacun son dû me doit.
    Et si canailles me cherchent et me lassent,
    Vos duvets, volailles, j'en fais ma paillasse.

    A l'instant, tous cois se tinrent.

    Alors un dindon dodelinnant s'avança
    De sa voix grêleuse il tintinnabula :
    - Ce coq chantait mal, une véritable cacophonie,
    Pour nos pauvres tympans, une vraie tyrannie.
    Tu es un chef, un vrai,
    Tu es beau, tu es fier
    Et moi ta serpillère,
    Commande à ton valet !


    Allons, dit le goret, je vais donc te tester,
    Dans ma soue, sot dindon, presse-toi de te rouler !
    Aussitôt il  plonge,  de son air idiot
    Par son affectation redoubla son brio :
    Regardez mon maître comme je me vautre,
    Ne suis-je pas pourceau, moi comme vous autres ?

    L'obséquieux dindon,
    Est  des dieux un don !
    Suis-moi, dit le goret, et soit mon estafier.
    Le dindon le suivit, à son train se calant,
    Et flatteries et flagorneries glougloutant,
    De son verbe mité vomissait une diahrrée.

    Voyant toutes ces faveurs, la volaille en chaleur,
    Complétèrent à la fois la cour et puis le choeur.
    La triste parade se mit ainsi en branle,
    Joyeux tableau de Bosch, ridicule chambranle,
    Tous derrière et pourceau devant,
    Filant tous dans le mauvais vent.

    Or, la troupe n'ayant point fait trois pas,
    Pourceau, vil, éructa.
    Ah! la cour se  pâma : Ô génie de poète !
    Entendons-nous une tempête de trompettes ?
    Pourceau, à l'ouïe de ces mots, de se rengorger,
    De fatuité plus que de gras boursouflé.


    Puis goret s'arrête, la foule se fige,
    A deux pas de bête, des plumes de paon gisent.
    Etranger au beau, non pas à l'orgueil,
    A son quarteron, Pourceau mande conseil :
    Ces pennes me confèrerait un certain air
    Quoi ! De la prestance, une mine sévère,
    - celle d'un prince, dit-on,
    - d'un roi, ajouta l'autre,
    - d'un dieu, que diantre, renchérit le dindon.
    Convaincu notre porc les plumes confisque,
    Ralliez ce panache ! Voyez votre odalisque !

    Par toute la ferme Pourceau se pavanne,
    A sa traine toute la suite s'exclame,
    Mais défilant près d'un muret,
    Il voit Blaireau tout affairé;
    Nullement par sa parure impressionné,
    Il semble bien, l'outrecuidant, le dédaigner !

    Et alors, Blaireau, m'as-tu vu ?
    Réponds, qui dis-tu que je suis ?
    Ah, tu n'es certes pas, répondit l'impoli,
    Avec cet attirail le premier porc venu.
    En effet dit Pourceau, tiens moi pour ton seigneur.
    Seigneur ? Par quelle fureur ? Il y a  erreur !
    J'ai face à moi non un roi, mais un bouffon
    Pour se planter ainsi des plumes - dans le croupion !

  • De l'infanticide et de la loi

    Véronique Courjault, la femme qui tua trois de ses nourrissons, assista donc au réquisitoire de son procès. Philippe Varin, l'avocat général, demanda dix ans de réclusion pour celle qui, par trois fois, a consciemment et délibérément tué "ces choses  qui sortaient de son ventre". Il exhorta enfin à ne surtout pas la "diaboliser", non plus d'en faire une icône.
    Soit.

    Mais comment ! Une société ose s'offusquer de la mort de deux-trois choses ? Et qu'elle tolère dans le même temps l'abattage de 200 000 de ces choses par an, dans des conditions autrement plus indicibles ? Quelle est cette irrationalité ? Quel est cet obscurantisme, ce tour de passe-passe ?
    Sans doute subit-on ici la dictature du pathos. Le pathos est une pathologie qui prospère sur l'inculture ; elle fagocite à la manière d'un parasite la raison débile et maladive. Ainsi une mort est-elle une tragédie, un million guère qu'une statistique. Une tragédie fait pleurer dans les chaumières ; la statistique provoque un haussement d'épaule.

    Mais au nom de la cohérence, c'est un non-lieu qu'il faudrait accorder à Véronique Courjault - la véritable image de notre temps (vera icon, Véronique - ah ! Curieux non, dans une société de l'image, qu'on fustigeât ainsi une vraie image ? On ne tolère que les reproductions par chez nous ; se regarder froidement dans une glace, tel qu'on est, voilà l'intolérable)
    Objectivement, l'acte de cette femme n'est pas différent de ceux autorisés sous conditions (les fameux garde-fous, plus fou que les fous qu'ils sont censés garder)  par le code de santé public en vigueur dans notre bon royaume : elle tue un être vivant, qui est en même temps son enfant. Certes elle ne tue pas dans les termes définis par la loi, mais nous parlons ici de l'acte pur. La loi condamne donc non l'acte, mais le paratexte de l'acte ; c'est là une grande perversité que de croire que la moralité de l'acte dépend uniquement d'un contexte spatio-temporel arbitrairement défini. La loi, censée être pour le citoyen le reflet fidèle du juste et de l'injuste, renvoie une image trouble. La coupable ici, c'est donc elle, la loi, et elle est coupable parce que intrinsèquement injuste et qu'elle ne dit pas la vérité sur l'être humain. D'où toutes ces contradictions, et les exercices de scolastiques décadentes auxquels elle doit s'astreindre pour les masquer grossièrement.

    En condamnant Véronique Courjault, la société se condamne de fait elle-même.
    En appliquant la loi pour infanticide, elle souligne l'illégalité et l'injustice de sa propre loi.

    Du grand n'importe quoi. Un procès-farce. Qu'on relâche cette femme immédiatement, ou qu'on interne les juristes.

  • Du père

    Le point commun de tous les héros nihilistes de Dostoïevski : l'absence, d'une manière ou d'une autre, du père.
    Le père est celui qui à la fois porte la semence et la met en terre ; il ancre le nouvel être dans une généalogie et dans un sol, précieux tuteurs pour le développement de ce qui deviendra un homme.

    Aussi le nihilisme n'est pas tant le produit d'une génération qui s'est détachée du sol, mais le produit d'une dé-génération par détachement du père.

    Gare à ceux qui veulent tuer le  père, leur créature se retournera contre eux.

  • De nos démocraties modernes

    Elles sont gouvernées par deux dictatures :

    La première est antinomique et pourtant très réelle : c'est la dictature de la liberté. La liberté du moi hypertrophié, nuisible, qui doit s'imposer aux autres.
    La capacité de nuisance est devenue le dernier snobisme : la démontrer publiquement, le must de la vie sociale. Sorte de réflexe élitiste en somme : je nuis, donc je suis au dessus du lot, et voilà mes quartiers de noblesse. Et si l'on me reproche ma capacité de nuisance, je vous subjugue et je vous submerge à coup de liberté de ceci et de cela.

    Cette liberté est évidemment inconstitutionnelle ; le seule légale -et supportable - est celle qui "consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui."
    Mais qui se soucie encore de loi ? La loi s'impose à qui la respecte uniquement ; ceux qui crachent dessus peuvent compter sur la bienveillance du juge (probablement parce qu'il ne croit plus lui-même dans la loi des hommes).

    La deuxième dictature est celle de l'obscénité : nous sommes factuellement non en démocratie, comme on le rêve, mais en pornocratie (les deux signifient-elles la même-chose ?). On nous oblige à nous prosterner devant le laid, le vulgaire, le dépravé, le répugnant, le zéro absolu. On badigeonne le tout sous le masque de l'art, de la modernité, ou de la liberté d'expression. Il y a dans nos démocraties une culture de la médiocrité et une prime à la nullité. Tout ce qui est doit être égal : il faut donc tuer à tout prix le talent et stériliser le génie. Sociétés incapables d'en féconder aucun, elles appellent beau ce qui est laid, lumineux ce qui est ténébreux,art ce qui est incapacité. Elles doivent maintenir l'illusion car l'homme a besoin du beau. Elles entretiennent en conséquence la confusion entre signifiant et signifié contraire, croyant par cet escamotage transcender la médiocrité. Imposture, prestidigitation. Médiocre même dans la médiocrité, elles vendent l'art au poids.

    Il ne peut en aller autrement lorsque tout le fondement tient sur une logique de production. Produire en masse implique raboter, araser, lisser, aplanir, bref, égaliser. L'égalisation ne pouvant se faire que par le bas (par le haut impliquerait un investissement trop long et trop ruineux), la société de production à tout intérêt à rendre médiocre par le biais de la désacralisation et de la despiritualisation. On cache les signes ostensibles de religion, on exhibe des effigies outrageuses de pornographie. Et l'on vous dit : citoyens, voilà votre nouveau petit dieu ; prosternez vous devant lui, et adorez le.

    Tout ce que touche cette société est, par une sorte d'anti-alchimie, souillé. Cela n'est pas étonnant : son but ultime est de produire des ordures.