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Aius Locutius - Page 73

  • De nos démocraties modernes

    Elles sont gouvernées par deux dictatures :

    La première est antinomique et pourtant très réelle : c'est la dictature de la liberté. La liberté du moi hypertrophié, nuisible, qui doit s'imposer aux autres.
    La capacité de nuisance est devenue le dernier snobisme : la démontrer publiquement, le must de la vie sociale. Sorte de réflexe élitiste en somme : je nuis, donc je suis au dessus du lot, et voilà mes quartiers de noblesse. Et si l'on me reproche ma capacité de nuisance, je vous subjugue et je vous submerge à coup de liberté de ceci et de cela.

    Cette liberté est évidemment inconstitutionnelle ; le seule légale -et supportable - est celle qui "consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui."
    Mais qui se soucie encore de loi ? La loi s'impose à qui la respecte uniquement ; ceux qui crachent dessus peuvent compter sur la bienveillance du juge (probablement parce qu'il ne croit plus lui-même dans la loi des hommes).

    La deuxième dictature est celle de l'obscénité : nous sommes factuellement non en démocratie, comme on le rêve, mais en pornocratie (les deux signifient-elles la même-chose ?). On nous oblige à nous prosterner devant le laid, le vulgaire, le dépravé, le répugnant, le zéro absolu. On badigeonne le tout sous le masque de l'art, de la modernité, ou de la liberté d'expression. Il y a dans nos démocraties une culture de la médiocrité et une prime à la nullité. Tout ce qui est doit être égal : il faut donc tuer à tout prix le talent et stériliser le génie. Sociétés incapables d'en féconder aucun, elles appellent beau ce qui est laid, lumineux ce qui est ténébreux,art ce qui est incapacité. Elles doivent maintenir l'illusion car l'homme a besoin du beau. Elles entretiennent en conséquence la confusion entre signifiant et signifié contraire, croyant par cet escamotage transcender la médiocrité. Imposture, prestidigitation. Médiocre même dans la médiocrité, elles vendent l'art au poids.

    Il ne peut en aller autrement lorsque tout le fondement tient sur une logique de production. Produire en masse implique raboter, araser, lisser, aplanir, bref, égaliser. L'égalisation ne pouvant se faire que par le bas (par le haut impliquerait un investissement trop long et trop ruineux), la société de production à tout intérêt à rendre médiocre par le biais de la désacralisation et de la despiritualisation. On cache les signes ostensibles de religion, on exhibe des effigies outrageuses de pornographie. Et l'on vous dit : citoyens, voilà votre nouveau petit dieu ; prosternez vous devant lui, et adorez le.

    Tout ce que touche cette société est, par une sorte d'anti-alchimie, souillé. Cela n'est pas étonnant : son but ultime est de produire des ordures.

  • De la contingence des continents ; de l'incontinence intellectuelle qui s'ensuit

    Les continents - et plus généralement toutes frontières - sont de pures conventions : leurs définitions ne reposent sur aucun critère objectif, d'où un décompte variable, de trois à sept selon les époques et la géographie. Donc, puisque le critère est subjectif, rien n'empêcherait l'Union Européenne d'intégrer un pays traditionnellement non-européen comme la Turquie.

    Rien sauf la cohérence d'une subjectivité geo-historique, sémantique, et culturelle :

    => subjectivité geo-historique : la Turquie est en Asie dite Mineure. D'aussi loin que date cette science qu'on appelle géographie, la partie orientale de l'actuel détroit des Dardanelles a toujours été appelée "Asie", et son côté occidental "Europe". Si l'on parle d'Europe, c'est donc obligatoirement pour la distinguer de l'Asie - autrement on dirait : "Eurasie" (par exemple).

    => subjectivité sémantique : les pères fondateurs de l'Europe moderne, dans leur esprit, ont voulu une union "européenne", non une Union Eurasienne.
    Quel insensé voudrait faire l'Europe en Asie ? Si on la construit aussi de l'autre côté du détroit, alors il faut dissoudre l'Europe, car ce serait reconnaître de fait son inexistence. Ce n'est pas là le moindre des paradoxes de ces pro-asiates qui s'auto-proclament les plus européens du monde *. Ils cherchent en réalité sa destruction ; ils nient l'Europe qu'ils adulent fanatiquement de conserve (sans savoir d'ailleurs ce qu'ils adulent - je crains qu'ils n'adulent négativement ou par défaut) : qui trop embrasse mal étreint et étouffe très sûrement.

    => subjectivité culturelle : la Turquie, avant elle l'Empire Ottoman, n'a en rien - ou de façon insignifiante - contribué à faire l'Europe moderne. Ce n'est ni un blâme, ni un sarcasme, ni une affliction , c'est un simple constat  : quels sont les peintres, sculpteurs, philosophes, écrivains, intellectuels, scientifiques ottomans ou turcs qui ont influencé et fait progresser l'Europe vers sa modernité ? Citez moi à chaud le compositeur, le philosophe, le peintre ?
    Au contraire, les Ottomans ont volontairement aboli tous les référents majeurs européens : grecs, latins, et judéo-chrétiens. Ils ont suivi leur propre chemin de civilisation, c'est à leur honneur et grand bien leur fit.

    Si l'on veut continuer avec cette idée d'union européenne, il faut impérativement définir des limites qui soient cohérentes avec, précisément, ce mot "Europe" et toutes ses connations.
    Sinon on parle d'autre chose. Et je ne suis pas sûr qu'on réussira davantage à inculquer aux citoyens une identité eurasienne (qui pourrait tout aussi bien dans la même logique inclure l'Afrique d'ailleurs) qu'une identité bêtement européenne.

    * Voilà ce que voudraient ces négateurs : ils voudraient que nous soyons "européen en général ; or il n'existe pas d'européen en général." - disait Dostoïevski (par ailleurs grand euro-sceptique). 

  • Des orphelins de causes

    Quoi de plus pathétiques que tous ces combattants orphelins de causes, abandonnés sur leur île déserte ? Leur guerre est terminée depuis belle lurette mais ils le nient férocement. Ils s'escriment à présent contre des moulins à vent. Leurs vociférations sonnent dans le vide, leurs gesticulations font pantomine. Ils moulinent dans une masse sourde de leur perpétuel et invariable tintatamarre.

    Ils sont usés, râpés, élimés ; leur discours est une bastide croulante, leurs mots des pointes effritées. Ils envoient à deux pieds, ils ne risquent plus de blesser qu'eux-mêmes.

    Chez eux tout est grippé, corrodé, tétanisé. Tout grince, geint, ou crisse. La poudre sent le mouillé, leurs balles mêmes sont rouillées ; elles ne tuent plus que par inadvertance, et par tétanos.

    Ils sont pathétiques. Ils ont besoin d'une décharge, d'un ministère, celui des orphelins de causes.

  • De la réalité de la réalité

    La réalité est ce qui est. Elle s'englobe dans la vérité, qui est ce qui est, et ce qui fut.
    Une chose est premièrement par elle-même : elle existe. Elle est pour l'autre, dans un premier temps, contingentement,  phénomène. Il convient donc de distinguer l'existence de la conscience, et de ne pas amalgamer les deux : ce n'est pas parce que 99,9999999% de la planète n'a pas conscience que je suis, qu'objectivement je ne suis pas. Ce n'est pas parce que je n'ai pas conscience des autres qu'ils n'existent pas.

    Je suis donc, et je sais que je suis. Inutile de refaire une démonstration cent fois refaites depuis plus de 1600 ans. Ma réalité est certaine. La réalité de l'autre est en revanche très improbable.

    1) Nous ressentons au présent uniquement. Nous pouvons pressentir, ou nous souvenir que nous avons ressenti, mais alors cela n'a plus de réalité dans l'autre. Le problème est la réalité effective, mesurable et quantifiable du présent :
    - du moment que nous avons ressenti, le phénomène à l'origine de la perception est déjà passée et n'est plus, le temps que le phénomène parvienne à la consience. Nous ressentons au présent ce qui est déjà dans le domaine du passé.
    - ce présent, qui peut le saisir et dire : le présent, c'est ça ? Du moment que je pense le présent il n'est plus, mais il est autre. Le présent est cet instant, pellicule infinitésimale entre deux glacis massifs que sont le passé (rétrospection) et le futur (projection). Instant insaissable et inquantifiable, nous est-il seulement possible de toucher le présent ? Si nous ne pouvons toucher le présent, comment toucher le réel ? Nous ne toucherions que des simulacres de réel ?


    2) Nous sommes matière, et nous percevons la réalité de l'autre d'abord matériellement (c'est à dire que nos sensations - vue, ouïe, toucher, odorat, goût - sont principalement matérielles et traduisent un phénomène matériel). Pourtant le volume d'un atome est, dit-on, "constitué" à 99,9999999999999 % de vide ! Si un noyau d'hydrogène mesurait un millimètre, selon des physiciens poètes, son électron folâterait à cinquante mètres de distance. L'atome aurait un diamètre de cent mètres de vide.
    Nous sommes donc essentiellement du vide* (formulation étrange en elle-même). Notre réalité perceptible est en fait "vide" ! Voilà un menu avec bien peu de saveur et de fumet, fort peu dyonisaque !

    Deuxième chose, cette matière farcie de vide est en fait, par exemple chez  l'électron ou le photon, duale : simultanément onde ET particule. 
    Voilà donc une réalité, la matière, qui est ressentie de façon absolument contre-intuitive : la matière est une probabilité...

    Dostoïevski notait dans ses carnets : "Je reconnaît l'existence de la matière, mais je ne sais pas du tout si la matière est matérielle."

    Un présent fuyant sans cesse et une matière vide de matière, indiscernable, la réalité parait décidément bien peu réelle. Et pourtant les chances de survie d'un être niant le réel laisse peu d'espoir. Je ne saurai subsister que dans le réel : la triche, le mensonge, simulacre et contrefaçon du réel, c'est la mort.

    Nous n'avons en définitive le choix qu'entre le réel et le néant.

  • Des avortés (suite)

    Comment en est-on arrivé, la main sur le coeur, à un tel degré de barbarie ?
    Comme souvent Dostoïevsky a l'explication : il y a deux visions de l'homme. L'une est postiviste et nie l'âme. L'autre est humaniste et reconnait l'âme. En dernier lieu c'est la vision mutilée de l'homme, la vision sac de viande qui l'a emportée.

    Extrait des "Possédés" de Dostoïevsky, dialogue entre Chatov, le "père", et Arina Prokhorovna, la sage-femme :

    C - Le secret de l’apparition d’un nouvel être est un grand mystère, Arina Prokhorovna, et quel dommage que vous ne compreniez pas cela ! (...) Il y avait deux êtres humains, et en voici tout à coup un troisième, un nouvel esprit, entier, achevé, comme ne le sont pas les oeuvres sortant des mains de l’homme ; une nouvelle pensée et un nouvel amour, c’est même effrayant... Et il n’y a rien au monde qui soit au-dessus de cela !

    A -  Eh ! qu’est-ce qu’il raconte là ! C’est tout simplement le développement ultérieur de l’organisme, et il n’y a là rien de mystérieux. A ce compte, n’importe quelle mouche serait un mystère *. Mais je dis une chose : les gens qui sont de trop ne devraient pas venir au monde.

    Voici ce que notait l'écrivain dans ses carnets :

    - "La morale livrée à elle même ou à la science peut se dénaturer jusqu'à l'extrême abomination. - jusqu'à la réhabilitation de la chair et le meurtre des nouveau-nés."

    - "Brûler les nouveau-nés deviendra une habitude, car tous les principes moraux en l'homme abandonné à ses propres forces sont conventionnels." (ie ne sont que des conventions.)

    Prophétique assurément.

    Pour Dostoïevsky, il y a, à la source de toutes les catastrophes humaines de l'histoire, un point commun  : l'oubli de Dieu. "Sans Dieu, tout est permis." Seul Dieu objective le bien et le mal. En conséquence, si Dieu est mort comme le prétendait un faux prophète, alors chacun se construit son bien et son mal, à sa mesure.
    Où l'on voit par ailleurs que sans Dieu, l'homme perd son émerveillement, se laisse prendre dans les filets de la grande lassitude, de l'absurdisme, et pour finir du cynisme. Il est alors dans la haine de soi et des autres ; dans le matérialisme.

    Jugez :

    Psaume :
    C'est toi qui m'as formé les reins, qui m'as tissé au ventre de ma mère;
    je te rends grâce pour tant de prodiges merveille que je suis, merveille que tes œuvres.
    Mon âme, tu la connaissais bien, mes os n'étaient point cachés de toi, quand je fus façonné dans le secret, brodé au profond de la terre.
    Mon embryon, tes yeux le voyaient; sur ton livre, ils sont tous inscrits les jours qui ont été fixés, et chacun d'eux y figure. 
    Mais pour moi, que tes pensées sont difficiles, ô Dieu, que la somme en est imposante !

    Pensée positiviste :
    L'homme "est tout simplement le développement ultérieur de l’organisme, il n'y a là aucun mystère."

    L'homme n'est bien évidemment pas que cela. Affirmer que l'homme n'est qu'un paquet de viande, c'est commettre l'erreur fatale de prendre la partie pour le tout. Et les faux pâtres qui nièrent l'âme ont toujours conduit l'homme au bord du gouffre.
    Sans Dieu point d'humanisme, si ce n'est au mieux un humanisme artificiel construit sur du sable, qui s'envolera au moindre vent mauvais.

    * Depuis près d'un siècle que biologistes et généticiens s'abîment les yeux sur la drosophile ; oui, cet insecte  "diptère, holométabole, radiorésistant" et insignifiant reste sous bien des aspects un mystère.