Voici une anecdote dont nous ne saurons vraiment si elle participe de la légende ou de la vérité :
Un jeune homme, frais et moulu de diplômes, pénètre dans le wagon d'un train en partance pour Paris. Il avise une place au fond, auprès d'un vieil homme somnolant. Le wagon tangue soudain brutalement au cours du trajet, et un rosaire tombe des mains du patriarche. Le jeune homme le ramasse, le lui rend et fait cette remarque :
- Je suppose que vous priiez ?
- C'est parfaitement exact, je priais.
- Il est surprenant, reprit le jeune homme, de trouver encore de nos jours des gens croyant à toutes ces superstitions et obscurantismes. Tous nos professeurs à l'université ne croient plus à ces genres de choses.
Le vieil homme parut surpris et amusé.
- Mais oui, poursuivit le jeune homme, de nos jours, les gens éclairés ne croient plus en toutes ces fadaises !
- Pas possible ? répliqua le vieile homme.
- Si fait, et si vous le souhaitez, je peux bien vous envoyer quelques livres qui sauront éclairer votre lanterne.
- Eh parfait, dit le vieil homme alors que le train arrivait à bon quai. Envoyez-les moi à cette adresse - lui tendant sa carte de visite :
"Louis Pasteur, Directeur de l'Institut Pasteur, Paris.
Voici le discours très éclairant qu'il prononça le jour de sa réception à l'Académie Française. Il fait l'éloge de son prédécesseur, Mr Littré :
"Le principe fondamental d’Auguste Comte est d’écarter toute recherche métaphysique sur les causes premières et finales, de ramener toutes les idées et toutes les théories à des faits et de n’attribuer le caractère de certitude qu’aux démonstrations de l’expérience. Ce système comprend une classification des sciences et une prétendue loi de l’histoire qui se résume dans cette affirmation : que les conceptions de l’esprit humain passent successivement par trois états : l’état théologique, l’état métaphysique, l’état scientifique ou positif.
M. Littré ne tarissait pas en éloges au sujet de celte doctrine et de son auteur. Pour lui, Auguste Comte était un des hommes qui devaient tenir une grande place dans la postérité, et la « philosophie positive une de ces œuvres à peine séculaires qui changent le niveau ». Interrogé sur ce qu’il estimait le plus dans l’emploi de sa laborieuse vie, nul doute que sa pensée ne se fût portée avec complaisance sur son rôle d’apôtre sincère et persévérant du positivisme.
Il n’est pas rare de voir les plus savants hommes perdre parfois le discernement de leur vrai mérite. C’est ce qui me fait un devoir d’un jugement personnel sur la valeur de l’ouvrage d’Auguste Comte. Je confesse que je suis arrivé à une opinion bien différente de celle de M. Littré. Les causes de cette divergence me paraissent résulter de la nature même des travaux qui ont occupé sa vie et de ceux qui sont l’objet unique de la mienne.
Les travaux de M. Littré ont porté sur des recherches d’histoire, de linguistique, d’érudition scientifique et littéraire. La matière de telles études est tout entière dans des faits appartenant au passé, auxquels on ne peut rien ajouter ni retrancher. Il y suffit de la méthode d’observation qui, le plus souvent, ne saurait donner des démonstrations rigoureuses. Le propre, au contraire, de l’expérimentation, c’est ne pas en admettre d’autres.
L’expérimentateur, homme de conquêtes sur la nature, se trouve sans cesse aux prises avec des faits qui ne se sont point encore manifestés et n’existent, pour la plupart, qu’en puissance de devenir dans les lois naturelles. L’inconnu dans le possible et non dans ce qui a été, voilà son domaine, et, pour l’explorer, il a le secours de cette merveilleuse méthode expérimentale, dont on peut dire avec vérité, non qu’elle suffit à tout, mais qu’elle trompe rarement, et ceux-là seulement qui s’en servent mal. Elle élimine certains faits, en provoque d’autres, interroge la nature, la force à répondre et ne s’arrête que quand l’esprit est pleinement satisfait. Le charme de nos études, l’enchantement de la science, si l’on peut ainsi parler, consiste en ce que, partout et toujours, nous pouvons donner la justification de nos principes et là preuve de nos découvertes.
L’erreur d’Auguste Comte et de M. Littré est de confondre cette méthode avec la méthode restreinte de l’observation. Étrangers tous deux à l’expérimentation, ils donnent au mot expérience l’acception qui lui est attribuée dans la conversation du monde, où il n’a point du tout le même sens que dans le langage scientifique. Dans le premier cas, l’expérience n’est que la simple observation des choses et l’induction qui conclut, plus ou moins légitimement, de ce qui a été à ce qui pourrait être. La vraie méthode expérimentale va jusqu’à la preuve sans réplique.
Les conditions et le résultat quotidien du travail de l’homme de science façonnent, en outre, son esprit à n’attribuer une idée de progrès qu’à une idée d’invention. Pour juger de la valeur du positivisme, ma première pensée a donc été d’y chercher l’invention. Je ne l’y ai pas trouvée. On ne peut vraiment attribuer l’idée d’invention à la loi dite des trois états de l’esprit humain, pas plus qu’à la classification hiérarchique des sciences qui ne sont l’une et l’autre que des à peu près, sans grande portée. Le positivisme, ne m’offrant aucune idée neuve, me laisse réservé et défiant.
La foi de M. Littré dans le positivisme lui vint également des apaisements qu’il trouvait sur les grandes questions métaphysiques. La négation comme le doute l’obsédaient. Auguste Comte l’a tiré de l’un et de l’autre par un dogmatisme qui supprimait toute métaphysique.
En face de cette doctrine, M. Littré se disait : Tu n’as à te préoccuper ni de l’origine ni de la fin des choses, ni de Dieu, ni de l’âme, ni de théologie, ni de métaphysique ; suis ton penchant de chercheur « inquiet ou charmé » ; fuis l’absolu ; n’aime que le relatif. Quelle quiétude pour cette tête ardente, ambitieuse de parcourir tous les champs du savoir !
On s’est pourtant trompé sur cette quiétude et l’on s’est payé de fausses apparences en prétendant faire de M. Littré un athée résolu et tranquille. Les croyances religieuses des autres ne lui étaient pas indifférentes. « Je me suis trop rendu compte, dit-il, des souffrances et des difficultés de la vie humaine pour vouloir ôter à qui que ce soit des convictions qui le soutiennent dans les diverses épreuves. » Il ne nie pas plus l’existence de Dieu que celle de l’immortalité de l’âme ; il en écarte a priori jusqu’à la pensée, parce qu’il proclame l’impossibilité d’en constater scientifiquement l’existence.
Quant à moi, qui juge que les mots progrès et invention sont synonymes, je me demande au nom de quelle découverte nouvelle, philosophique ou scientifique, on peut arracher de l’âme humaine ces hautes préoccupations. Elles me paraissent d’essence éternelle, parce que le mystère qui enveloppe l’univers et dont elles sont une émanation est lui-même éternel de sa nature.
On raconte que l’illustre physicien anglais Faraday, dans les leçons qu’il faisait à l’Institution royale de Londres, ne prononçait jamais le nom de Dieu, quoiqu’il fût profondément religieux. Un jour, par exception, ce nom lui échappa et tout à coup se manifesta un mouvement d’approbation sympathique. Faraday s’en apercevant interrompit sa leçon par ces paroles : « Je viens de vous surprendre en prononçant ici le nom de Dieu. Si cela ne m’est pas encore arrivé, c’est que je suis, dans ces leçons, un représentant de la science expérimentale. Mais la notion et le respect de Dieu arrivent à mon esprit par des voies aussi sûres que celles qui nous conduisent à des vérités de l’ordre physique. »
La science expérimentale est essentiellement positiviste en ce sens que, dans ses conceptions, jamais elle ne fait intervenir la considération de l’essence des choses, de l’origine du monde et de ses destinées. Elle n’en a nul besoin. Elle sait qu’elle n’aurait rien à apprendre d’aucune spéculation métaphysique. Pourtant elle ne se prive pas de l’hypothèse. Nul, au contraire, plus que l’expérimentateur, n’en fait usage ; mais c’est seulement à titre de guide et d’aiguillon pour la recherche et sous la réserve d’un sévère contrôle. Il dédaigne et rejette ses idées préconçues, dès que l’expérimentation lui démontre qu’elles ne correspondent pas à des réalités objectives.
M. Littré et Auguste Comte croyaient et firent croire, aux esprits superficiels que leur système reposait sur les mêmes principes que la méthode scientifique dont Archimède, Galilée, Pascal, Newton, Lavoisier sont les vrais fondateurs. De là est venue l’illusion des esprits, favorisée encore par tout ce que présentaient de garantie la science et la bonne foi de M. Littré."
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Il est absolument piquant d'observer que Pasteur réfuta en son temps la théorie de la génération spontanée de ces mêmes positivistes avec rage et acharnement, et eut contre lui un certain journaliste nommé Georges Clémenceau. Il est vrai que Pasteur eut alors le tort d'être ouvertement catholique. Voilà donc les pseudo-lumières : plus obscurantistes que l'obscurantisme qu'ils dénoncent : il est en vérité une lumière qui pique des yeux habitués aux ténèbres : parce qu'ils sont incapables de regarder cette lumière en face, qu'ils ne savent soutenir plus qu'un pâle reflet, ces myopes traitent les autres d'aveugles. Pensent-ils ainsi gagner en acuité ?
Nons avons démontré dans la note précédente qu'il n'y a pas d'obstacles structurels entre le christianisme (dont le catholicisme) et la science. Les obstacles qui furent réels comme l'affaire Galilée (en 2000 ans d'existence, une institution ne peut-elle souffrir le moindre errement ?) ne furent que conjoncturels.
Nous avions aussi esquissé une traduction formelle en signalant le rôle de l'Eglise catholique dans la conservation et la dispensation du savoir. Plus de factuels :
- En 2003 fut célébré le 400ème anniversaire de la création de l'Accademia dei Lincei, l'Académie des Lynx, l'ancêtre de l'Académie des sciences pontificales. Cette Accadémia fut fondée à Rome en 1603, sous le règne du pape Clément VIII, par Frederico Cesi. Il s'agit de la première académie exclusivement scientifique. Parmi d'anciens membres : Max Planck, Louis de Broglie, Niels Bohr, Louis Leprince-Ringuet, Georges Lemaître, Werner Heisenberg, Erwin Schrödinger, Paul Dirac.
- Citons un extrait de l'ouvrage de James Walsh, "Catholic churchmen in science"
"Le "Dictionnaire Biographique des sciences exactes" de Poggendorff (Biographisch-literarisches Handwörterbuch zur Geschichte der exacten Wissenschaften, enthaltend Nach-weisungen über Lebensverhältnisse und Leistungen von Mathematikern, Astronomen, Physikern, Chemikern, Mineralogen, Geologen... aller Völker und Zeiten (Leipzig, 1863, 2 vol. gr. in-8)) contient dans ses deux premiers volumes les noms de 8847 savants de la haute antiquité jusqu'à 1863. Parmi ces noms, un peu plus de 10% sont membres du clergé catholique.
(...) Parmi les quelques 1000 ecclésiastiques distingués dans le domaine des sciences exactes, les Jésuites comptent pour 50%. En l'espace de deux siècles et demi d'existence, les Jésuites ont réussi à placer un de leur membre sur vingt [scientifiques] dont les futures générations se souviendront pour leur contribution à la science.
Pour une société fondée avec l'objectif de suivre les volontés du pape aussi exactement que possible, qui s'est toujours dévouée à remplir cette objectif avec une fidélité exemplaire, d'avoir donné un aussi grand nombre d'hommes à la science est la meilleure réponse possible à ceux qui prétendent que les papes ou l'Eglise se sont opposés de toutes les façons au développement scientifique."
(James Walsh, "Catholic churchmen in science", chp7, The Jesuit astronomers)
Si l'on veut se persuader de l'influence des Jésuites dans l'histoire de la science, une brève visite sur cette page wikipedia suffira.
On peut aussi se contenter de mentionner les quelques 35 cratères de la lune portant le nom de jésuites, ou que, parmi les 303 personnalités mentionnées par l'abbé Charles Bossut (géomètre, élu en 1768 à l'Académie des sciences) dans son livre "Histoire générale des mathématiques" publié en
en 1810, on compte bien seize jésuites. Si l'on veut se persuader plus généralement de l'influence du christianisme et du catholicisme dans l'histoire de la science, un autre saut sur une autre page suffira également.
N'hésitez pas à ouvrir un commentaire ci-dessous avec une brève biographie d'un ou plusieurs hommes d'Eglise ou laïcs chrétiens, penseurs ou scientifiques. Ceci achèvera bien de consummer cette légende noire aussi inepte que ceux qui la propagent. En vrai notre siècle est bien prétentieux : nous ne sommes que nains sur épaules de géants, et ces géants furent pour bonne part chrétiens et catholiques, n'en déplaise.