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Aius Locutius - Page 48

  • La bâtarde de Trente

    greuze-ecolier.jpg Peut-on dire que les Lumières, au moins en pays majoritairement catholiques, sont les filles naturelles, c'est-à-dire nécessaires (au sens des causes secondes) mais point du tout programmées du concile de Trente ? Quelques exemples très édifiants  (liste ouverte) :
    - Descartes : entre à onze ans au collège jésuite de la Flèche.
    - Montesqieu : entre à onze ans chez les oratoriens de Juilly.
    - Camille Desmoulins entre comme boursier au lycée Louis-le-Grand, tenu par les Jésuites.
    - Jean-Étienne-Marie Portalis (l'un des rédacteurs du Code civil), étudia chez les oratoriens de Toulon puis de Marseille.
    - Pierre Bayle : A vingt-deux ans, entre à l’université des jésuites de Toulouse.
    - Voltaire : entre à dix ans au collège Louis-le-Grand.
    - Robespierre, Fouché, Daunou, Massillon, Malebranche : élèves des oratoriens.
    - Diderot : élève au collège Jésuite de Langres.
    - Cesare Beccaria : entre à neuf ans au collège Jésuite de Parme (très mauvais souvenir selon ses dires ; son camarade et ami Pietro Verri n'en disant que du bien...)

    Voici ce qu'écrivit Voltaire, dans un répit de bonne foi :

    « J'ai été élevé pendant sept ans chez des hommes qui se donnent des peines gratuites et infatigables à former l'esprit et les mœurs de la jeunesse. Depuis quand veut-on que l'on soit sans reconnaissance pour ses maîtres ? Quoi! il sera dans la nature de l'homme de revoir avec plaisir une maison où l'on est né, le village où l'on a été nourri par une femme mercenaire, et il ne serait pas dans notre cœur d'aimer ceux qui ont pris un soin généreux de nos premières années ? Si des Jésuites ont un procès au Malabar avec un capucin, pour des choses dont je n'ai point connaissance, que m'importe ? Est-ce une raison pour moi d'être ingrat envers ceux qui m'ont inspiré le goût des belles-lettres, et des sentiments qui feront jusqu'au tombeau la consolation de ma vie ? Rien n'effacera dans mon cœur la mémoire du père Porée, qui est également cher à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais homme ne rendit l'étude et la vertu plus aimables. Les heures de ses leçons étaient pour nous des heures délicieuses ; et j'aurais voulu qu'il eût été établi dans Paris, comme dans Athènes, qu'on pût assister à de telles leçons; je serais revenu souvent les entendre. J'ai eu le bonheur d'être formé par plus d'un Jésuite du caractère du père Porée, et je sais qu'il a des successeurs dignes de lui. Enfin, pendant les sept années que j'ai vécu dans leur maison, qu'ai-je vu chez eux? La vie la plus laborieuse, la plus frugale, la plus réglée ; toutes leurs heures partagées entre les soins qu'ils nous donnaient et les exercices de leur profession austère. J'en atteste des milliers d'hommes élevés par eux comme moi; il n'y en aura pas un seul qui puisse me démentir... » Lettre au père de Latour; à Paris, le 7 février 1746.

    L'un des objectifs du concile de Trente fut de combattre l'ignorance à la fois du clergé et des fidèles (la religion chrétienne est une religion savante, on n'insistera jamais assez sur ce point : l'ignorance conduit directement à sa déliquescence). Dans cet "écosystème tridentin" se sont développées des congrégations commes la Compagnie de Jésus, fondé par Ignace de Loyola et approuvé en 1540, la Congrégation de l'Oratoire, fondé par Philippe Neri et approuvé en 1575, ou encore les Frères des Ecoles chrétiennes, fondé par Jean-Baptiste de la Salle en 1685.
    Dans les années 1740, les Jésuites dirigent plus de 650 collèges en Europe, ont la charge de 24 universités et de plus de 200 séminaires et maisons d'étude.
    Quant aux Oratoriens, il existait en France à la veille de la Révolution 128 établissements, accueillant 35 700 élèves.

    Voilà donc un exemple de cette cruelle ironie de l'Histoire : l'Eglise instruisit ceux-là même qui l'outragèrent. Finalement bonne fille, je ne crois pas qu'elle s'en repentît un seul jour.

    JBaptisteGREUZE-Lepetitparesseux.jpg

  • Le fléau

     Si l'on veut être juste, il nous faut saluer l'écho rendu par la presse sur la situation souvent catastrophique des minorités chrétiennes en terre d'Islam. Editoriaux, articles, reportages, jamais il n'aura autant été question de liberté de conscience et religieuse - et l'on retrouve pour une fois l'idée qu'il existe des principes universels supérieurs aux coutumes, traditions et cultures de tel ou tel peuple. Peut-être le signe d'une prise de conscience des conséquences néfastes du relativisme.

    Ainsi ce reportage de la BBC sur la situation et la vie des Coptes. Média décidément étrange et schizophrène, capable du pire comme du meilleur.

  • Le vrai scandale ou la grande illusion

    billet-dollar-300x225.jpg Une bulle spéculative nait lorsque son objet n'est plus alimenté que par lui-même, se coupant par là de toute attache à la réalité :  "Once trade trade on itself, it becomes entirely abstracted from the real economy" *.

    Il en va de même avec le plus formidable attrape-couillon mis en scène par le matérialisme consumériste : la très fameuse "magie" de Noël. Voilà sans doute le plus grand escamotage dont le Christianisme est actuellement témoin. Il s'agit, très simplement, dans le désert spirituel nécessaire à la bonne marche des affaires, d'escamoter un mystère par de la magie. Et là où le mystère vécu suffit à combler l'homme, la magie quant à elle ne sait que  prévenir le manque ontologique par l'artifice d'une possession matérielle. Ceci est  excellent pour le business, mais ne donne que l'apparence de combler.

    Le troupeau donne bien volontier dans le panneau, par une sorte de processus auto-persuasif : le cerveau et la volonté ramollis par le discours de l'individu-roi, du culte de la gloutonnerie et de la flatterie des sens, l'on est que trop heureux d'écouter et de se persuader de grands discours : "vous avez besoin de spirituel, pas de souci, on vous le vend en grande surface". Le marché dicte alors : "il faut la magie de Noël" ; le balourd obtempère. On l'illusionne, et il se laisse illusionner, de façon perfide, par le plus innocent.

    Car le marché rebaptise ainsi Noël "fête des enfants". L'enfant est en effet plus que réceptif à la "magie" de Noël, grossière tringlerie de pompe à fric. Celui-ci s'illusionne en premier, les yeux écarquillés devant ce qu'il ne voit pas être une mesquine poudre aux yeux. Cette illusion cautionne en retour, vis-à-vis des parents écervelés, la réalité de la magie de Noël - et voici les parents contaminés qui eux-même s'illusionnent à propos de l'illusion de leurs enfants, et de la machine à illusion elle-même. D'autant qu'ils sont persuadés pouvoir acheter la joie de leur enfant au supermarché : une guirlande de bonheur qui scintille dans les yeux des chérubins, on est prêt à mettre un paquet de pognon pour ça. Même si ça ne dure qu'un temps.

    Voilà comment se crée cette bulle des illusions, où l'illusion vorace finit par s'alimenter d'elle-même.

    Si on récapitule :
    - 1) L'homme a un besoin ontologique spirituel.
    - 2) Le marché ne sait que vendre par flatterie et tentation du matériel ou du sensoriel : il va donc vendre de la magie.
    - 3) Il persuade l'homme qu'il est plus avantageux et facile de croire en la magie qu'au mystère, et qu'il est à même de répondre à son besoin. En échange d'une modique somme.
    - 4) Dans ce cadre le message est martelé que Noël est la fête des enfants - par ailleurs incapables de cerner le réel de l'irréel. Ils sont de fait les premiers à se persuader de la mise en scène de cette piteuse magie.
    - 5) Les parents habitués à n'être plus que consommateurs adhèrent à ce projet et s'illusionnent par contamination, enchantés des effets de l'illusion ainsi produite sur leurs enfants. Ils deviennent agent gracieux de la mise en scène, et clients précieux de la vaste kermesse.
    - 6) Proies ferrées : les parents n'ont plus qu'une crainte : que l'illusion de son rejeton s'évanouisse, et par entraînement la leur propre. Les deux illusions se soutiennent donc par solidarité et s'alimentent d'elles-mêmes par gloutonnerie.
    Cette structure est valable pour tous les mensonges.

    Doit-on rappeler que le Christ est né, à vécu, et est mort pour l'humanité - gratuitement ? Que certains chrétiens ne voient aucun inconvénient à la commercialisation de la fête de la naissance du Christ, voilà la seule vraie magie dans cette histoire.

    Note :
    * Phillip Blond, Red Tory p46

  • Le scandale

    garcimore.jpg L'Eglise est un scandale de tous les jours. Le dernier en date, restons-assis : avoir révélé à des enfants purs et innocents que le père Noël n'existe pas, que Noël fête la naissance du Christ, point barre. En pleine messe s'il vous plaît.

    Dans le même ordre, on a vu le directeur d'une agence de pub devoir s'excuser publiquement à propos d'une de ses créations qui aurait pu jeter le doute fallacieux.

    Toujours plus stupidissime, la mémé outrée qu'on puisse parler de l'existence du père Noël en classe élémentaire : pensez donc, à l'école publique, gratuite et républicaine, douter du dogme Coca-Cola ? Et pourquoi pas remettre en cause le dogme de la capote infaillible tant qu'on y est.

    On n'a pas fini de se poiler au tribunal de la laïcité : le risque de trépasser de ridicule simplement n'existe pas. Et pourquoi tout ce cirque ? Préserver la "magie" de Noël, mon petit monsieur. Je cite mémé dans l'article : ""elle [cette affaire] se situe au niveau des guirlandes de bonheur qui scintillent dans les yeux des enfants, pour la magie des cadeaux et des instants de partage." Parents qui croient acheter la joie de leurs enfants au supermarché ; quelle misère. Mais la force de ce système de consommation, c'est de miser toujours plus gros sur la bêtise crasse du peuple et sa faculté inépuisable à s'illusionner. Un directeur d'une grande chaîne TV disait que son job se limitait à trouver du temps de cerveau disponible pour ses annonceurs ; mais l'équation est fausse dès le départ : il eût fallu le cerveau.

    Ah, fameuse magie de Noël ! Faut-il être niais décidément ; illusion d'un instant vite parti en fumée. Les cadeaux de mémé se retrouvent aussi sec sur e-bay, sans baguette magique. La vraie magie est d'avoir réussi à convaincre le troupeau de se dépouiller de son oseille pour les larges poches des marchands de rêves. Nommer le mal, c'est déjà le vaincre à moitié ; appelons donc cette technique de tonte le potterisme. Je te fais un tour de magie, tu me files tout ton fric. Et on recommence tous les ans.

    Les usines à crétins fonctionnent à plein régime. Celles-ci produisent à la chaîne des consommateurs ruminant et bousant très docilement, pour la plus grande satisfaction des marchands de rêves.

  • Une question d'éternité

    munch_rep.jpg Quand l'homme évacue la question de Dieu, se bouchant les oreilles et poussant de grands cris, il évacue une éternité pleine et entière et se retrouve seul face à l'infini de son néant.

    Il est dès lors facile de comprendre pourquoi le désir devient la seule mesure de ces hommes : contrarier un désir revient à les priver éternellement d'une possibilité, à condamner un choix et une vie à perpétuité. La contrariété lèse donc, dans cette perspective de néant,  une personne d'une mesure infinie. Voilà une pensée légitimement intolérable pour qui la  vie est un sursis : aucune morale ne fait le poids face à l'infini du néant : qui saura réparer le tort d'une possibilité déniée à jamais, quand chaque seconde d'existence vaut son pesant d'éternité ?

    Sans Dieu tout est permis, et même, tout doit être permis ; l'impossibilité est un péché contre la vie d'un poids infini. Voilà  pourquoi la société est bien embarrassée lorsqu'elle tente de poser des limites à ce qui est possible : la réalité, c'est qu'elle ne peut plus y parvenir, ayant renié tout ce qui fondait la morale et donc la justice. La société est victime de sa neutralité : tolérant la croyance également à  l'incroyance, elle ne peut faire autrement que de se plier aux dictats du plus petit dénominateur, par obligation d'égalité. Elle se contraint donc de priver celui qui a plutôt que de forcer qui n'a pas, étant entendu qu'on ne saurait priver celui qui n'a pas de quoi que ce soit.

    A cause de sa neutralité voilà donc la société forcée de supporter tous les choix, sans possibilité pour elle-même de choisir le bien commun. Mais surtout, elle se voit contrainte de supporter toutes les conséquences sociales et donc financières des libres choix individuels. Alors, dans l'impossibilité de s'attaquer au coeur du problème, la voilà elle-même contrainte d'éponger toutes sortes de symptômes à coups de milliards et de budget toujours plus enflé et déficitaire. Voici : la société paye un loyer exorbitant à cette tyrannie du libre choix, obligée à perpétuité de réduire les symptômes quand elle est impuissante à neutraliser la racine du mal.
    Contraindre la nature provoque une dépense d'énergie proportionnelle à la force de cette contrainte ; de même contraindre la nature de l'homme. Faire comme si l'homme n'était pas créé à l'image Dieu et promis à une pleine éternité, c'est comme faire du maïs une plante de régions arides. Vivre dans cette illusion a un coût absolument ruineux.

    Les civilisations ne meurent pas, elles se suicident dit-on. Le plus pathétique, c'est qu'elles se voient mourir peu à peu, à la fois pleinement conscientes et impuissantes, la volonté anesthésiée par une logique qu'elles se sont librement donné comme un lent poison.

    Lire aussi : "Quand on perd de vue l’éternité, toute souffrance semble excessive."