Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Aius Locutius - Page 47

  • Le grand frisson

    Notre Occident s'ennuie tellement que, lorsqu'il sent le vent du grand frisson frémir, il est hors de question pour lui de laisser passer l'occasion de prendre le large.
    Ainsi les évènements de Libye. Enfin le moyen trouvé de se faire peur comme au spectacle. Quelques bruits de botte, l'odeur de la poudre, voilà bien de quoi exciter les stratèges de comptoir et nous faire oublier la monotonie des marronniers en fleur (pour information, le numéro du Point est consacré cette semaine à l'immobilier parisien - le prochain au produits numériques, ensuite le classement des hôpitaux puis des lycées ; un dossier sur les loges maçonniques devrait compléter la pépinière). Vivement que le pape s'exprime sur les préservatifs.

    Ainsi donc se pose la question, pour les pays européens, d'intervenir :
    - sur un autre continent ;
    - dans un conflit purement interne ;
    - sans que ses intérêts autres que pétroliers (peut-être migratoires aussi), ne soient en jeux.

    Quelle mouche donc nous asticote de la sorte ?
    - Certes Kadhafi est un despote de la vieille école : sans scrupule, mégalo, assoiffé de pouvoir, d'argent, et peut-être de cortisone (ou d'alcool - au quel cas il s'agirait en outre d'un boit-sans-soif).
    - Certes il massacre sa population, jette l'opposition aux fers voire plus, s'amasse un joli pactole en prévision d'une retraite qu'il n'a pas l'intention de prendre. Il y a plus de dollars sur ses comptes en Suisse que de grains de sable dans ses déserts.

    Ding ! Il ne vous rappelle personne ? Mouammar Hussein, Saddam Kadhafi - kiff-kiff bourricot cousin !
    Donc, tandis que nous hurlions, indignés (très important de prendre la pose indignée*, cf le pathétique Stéphane Hessel) à l'impérialisme américain quand W. entreprit sa croisade anti-Saddam, tandis que Villepin brassait les résolutions de l'ONU quand l'autre brandissait sa fiole pipautée, nous voici en 2011 tout excité à vouloir corriger l'autre marchand de tapis - à l'américaine.
    Comme quoi tout dans ce bas monde n'est que registre de comédie. Car en vérité, il n'y a aucune différence entre la situation de l'Irak en 2003 et celle de la Libye en 2011.

    Or donc, sur quel critère s'ingérer dans les affaires des autres : car enfin, Khadafi, Béchar, Chavez, Bagbo, Jong-il et j'en passe, va-t-il falloir se les faire tous un à un ? Pourquoi l'un et pas l'autre ? Me répondrez-vous : l'un est à notre portée, l'autre pas.
    Soit. Un mixe de principes et de réalisme, pourquoi pas. Mais dans ce cas il nous faut admettre que l'hystérie anti-W relevait de l'irrationnel.

    Il y a bien des tas de raisons d'être contre : ainsi, la peur de passer pour l'impérialiste et le neo-colonialiste de service (combien même la Libye est une création coloniale ; passons). Sans doute ces gens, dans lesquels germent de telles pensées tordues,  pensent-ils à certains pays arabes qui n'ont pas hésité à encourager, financer, armer le djihad dans les Balkans. Combien de combattants arabes dans ces guerres européennes ? Et si cela ne répond pas à la définition du colonialisme, je veux bien qu'on m'offre un autre dictionnaire.
    Voilà donc une très mauvaise raison de ne pas tordre le bras de Khadafi.

    Plus intéressant, on peut se référer au magistère de l'Eglise concernant la justification de la guerre. Il y a certains critères bien précis qui entrent  en jeux - mais la plupart ne concernent que les conflits classiques entre Etats. Il s'agit dans le cas libyen d'une guerre civile, d'où un certain embarras dans les documents de l'Église. Avouons aussi que la formulation générale de l'Église sur le thème de la guerre est plutôt confus, pleine de bonnes intentions comme de pavés l'enfer. L'irénisme béat qui irradie certains  documents (je pense au compendium de la doctrine sociale de l'Eglise  concernant la paix et la guerre) a quelque chose de plus ridiculement anti-nietzschéen que de véritablement chrétien. On a bien fait de signer à Munich, pour résumer. Curieusement, ce document ne cite jamais l'épisode ou Jésus chasse les marchands du temple à coups de fouet. Ni les mots parfois violent de Jésus - tout comme ceux de Paul ; Je ne parle même pas des prophètes : ce passage du compodium les lapiderait une deuxième fois. La vérité, parfois, est violente - c'est ainsi, dans un monde où règne le péché.
    Que dire par ex. de l'art 497 : "La guerre, en définitive, est « la faillite de tout humanisme authentique »,1042 « elle est toujours une défaite de l'humanité »: 1043 « Jamais plus les uns contre les autres, jamais, plus jamais! (...) jamais plus la guerre, jamais plus la guerre! »." Moi, la guerre, je suis contre. Et l'injustice aussi. Sérieusement, ce genre de pathos digne de nos grands écrivains visionnaires de l'entre-deux-guerres ne vaut que l'encre qui a servit à l'écrire. Je ne dis pas que ces documents ont tort dans le fond, évidemment non ; simplement un toilettage de la formulation s'imposerait sans doute.

    Tout ça pour dire qu'entre l'excitation à prendre les armes, et la velléité créatrice surtout de grands principes, il y autant qu'entre la vitesse et la précipitation. Rappelons-nous de la grande couillonnade du Kosovo : réagir uniquement avec ses tripes, c'est faire le dindon d'une farce pas très drôle. La raison doit avoir son mot à dire, avec son principe de réalité.

    Où l'on retrouve le principe de discernement et de conscience morale, décidément la clé de toute action humaine - et pas seulement chrétienne.

    * Il n'y a pas plus menteur que l'homme indigné, écrivait Nietzsche dans un flash de lucidité.

  • Red Tory

    "Red Tory" est un livre paru il y a quelques mois et écrit par Phillip Blond, philosophe et théologien anglican, né en 1966 à Liverpool. Phillip Blond entend déconstruire la crise morale, sociale et financière dans laquelle est plongée la Grande-Bretagne. Pour la première fois depuis longtemps, on ne se contente plus de relever les symptômes du mal un par un, chacun selon sa spécialité, proposant des remèdes contradictoires en se gardant de considérer ce qui les lie entre eux, mais on a la  volonté de traquer et d'extirper le mélanome dans sa totalité. Les solutions proposées par Phillip Blond se retrouvent en grande partie dans le programme conservateur anglais de "Big Society" : il y est proposé un véritable projet de société global, avec une cohérence entre les symptômes, le diagnostique et les remèdes ; et ces remèdes ne sont pas économiques, ils sont d'abord sociaux - ou sociétaux - et moraux : ils passent notamment par une restauration de l'ethos et de l'idée de bien commun (ces notions seront familières à ceux qui fréquentent la doctrine sociale de l'Eglise). Il s'agit donc de mettre en place une révolution culturelle et sociale. Cette bonne volonté politique suffira-t-elle ? Ce n'est sans doute pas la question immédiate ; ce qu'il faut relever dès maintenant, c'est la dimension positive de la démarche engagée.

    Lire Red Tory n'est pas sans difficultés, tant le livre abonde de termes "civilisationnels" propres à la culture et aux traditions anglaises, tant aussi Phillip Blond se garde de les définir, comme s'ils étaient entendus. Les mots rendus en français risquent donc d'être insuffisants, imprécis, ou encore faire contre-sens. Tant pis.

    La première partie s'intitule "Le bazar dans lequel nous sommes, et comment on en est arrivé là". Analysant la triple crise économique, démocratique et sociale, Phillip Blonde recense les erreurs à la fois de la droite et de la gauche, qui conduisirent in fine  l'Etat et un marché confisqué par des happy-few à se soutenir mutuellement dans une sorte de complicité incestueuse. Concluant sur l'héritage très peu libéral du libéralisme - la déliquescence de la société par un individualisme furieux entrainant un contrôle toujours plus élevé de l'Etat, afin de maintenir une paix sociale à minima - Phillip Blond propose de casser cette logique dans la seconde partie du livre, en recréant un ordre "conservateur" se définissant comme :

    - Une restauration de l'ethos,
    - Une moralisation du marché soumis au bien commun,
    - L'instauration d'une prospérité populaire,
    - Une restauration des liens sociaux en rendant le pouvoir à la société civile (ce qu'il appelle "society").

    Phillip Blond montre comment l'idéologie portée par le Labour et les Tories, par le rejet des coutumes, des traditions, des communautés et de la famille (insupportables obstacles à la liberté de l'individu et au marché) a en réalité :
    1) favorisé la dictature du marché en formant une masse de consommateurs captifs et en brouillant la notion de bien commun.
    2) atomisé la société par l'affaiblissement puis la destruction des liens sociaux (ce qu'il appelle la liquéfaction de la société).
    Ainsi la gauche a-t-elle dépouillé le peuple anglais de sa culture, tandis que la droite l'a dépouillé de ses capitaux et avoirs (asset), l'une préparant la voie de l'autre, et la validant par la suite (cf programme du New Labour).

    L'après guerre a vu l'Etat anglais nationaliser une société qui était essentiellement mutualiste, favorisant une sorte de culture de l'assistanat (entitlement). Ce social-libéralisme conduit la société à s'atomiser et se liquéfier sous les coups d'une idéologie individualiste fondamentaliste, avec pour résultat les familles décomposées, l'inculture, une hausse de la violence et de la pauvreté.
    Paradoxalement, cet individualisme d'inspiration libérale (que Phillip Blond trace jusqu'à Rousseau)  a pour conséquence un renforcement de l'intervention de l'Etat : pour contrôler une société individualisée à l'extrême et l'empêcher d'imploser, il faut un traitement social et sécuritaire de plus en plus lourd ; et, pour empêcher les dépenses publiques qui en résultent de devenir insupportables, il faut que les services publiques se soumettent au dictat des contrôleurs de gestion, des audits, et des objectifs de productivités. Cette vision exclusivement comptable entraîne une perte de l'ethos et du professionalisme, nuisant en définitive à l'efficacité de ces services et augmentant d'autant ses coûts de fonctionnement.

    On réalise donc comment deux entités, l'Etat et le marché, se soutiennent l'un et l'autre au détriment de la société civile : le marché a besoin de cet individualisme qui laisse de côté le bien public, créé des consommateurs et laisse le champ libre à la cupidité. Mais les marchés ont aussi besoin de paix social, fragilisée par leur propre logique de comportement. Le coup social est assumé par l'Etat qui trouve ses financements sur les marchés.

    La victime principale de cette machination involontaire (aboutissant donc au "servile state", un état de servage) est la classe populaire : dépossédée de sa culture (par la gauche) et de ses avoirs (par le marché aidé de la droite), atomisée par l'idéologie l'individualiste, elle devenue addictive aux prestations de toutes sortes. Cette sous-classe est elle-même devenue un produit pour une classe de fonctionnaires-managers, dont les intérêts sont étroitement liés à la perpétuation des problèmes qu'ils sont censés adresser.

    La solution passe d'abord par une restauration conservatrice de l'ethos et de la culture britannique des traditions et des coutumes, puis par une restauration des liens sociaux par la société civile et les groupes communautaires : l'Etat et le marché doivent servir la société, non la mettre à sa disposition. Le pouvoir détenu par l'Etat-leviathan doit en conséquence se diffuser aux échelons locaux, où les utilisateurs de services doivent être aussi ceux qui les contrôlent. Ainsi aux mains d'associations civiles, le besoin de régulations au final toujours coûteux se ferait moins sentir, créant une économie plus résiliente et viable sur la durée. Par le refus de se laisser imposer des normes sociales et morales, conçues de façon centralisée et homogène au nom du culte et de la déification des désirs individuels, la population se réapproprie en outre la notion de bien commun, dont la défintion devient l' objet du débat public permanent.

    Ainsi la gauche doit-elle admettre la nécessité d'une vision conservative de la société : ses traditions, ses coutumes, sa culture et son mutualisme. La droite quant à elle doit combattre les inégalités économiques et les effets néfastes que celles-ci entraînent sur les institutions auxquelles elle tient.
    Ceci s'obtient par l'équité, la juste distribution des richesses, la possession de biens autant que par la redécouverte de la culture et de l'ethos.
    "Red, because it caters to the needs of the disavantaged and believes in economic justice ; Tory, because it believes in virtue, tradition, and the priority of the good." (P35)

    ---

    Phillip Blond condamne dans ce livre l'individualisme porté autant par la gauche culturellement libérale que par la droite économiquement libérale. Cet individualisme et la dérégulation outrancière du marché constituèrent le cocktail funeste que la société anglaise continue de boire jusqu'à plus soif.
    Il est bien démontré ici où se trouve le péché originel du libéralisme, autant dans sa version sociale qu'économique : celui-ci prend une partie anthropologique pour son tout. Certes l'instinct de conservation de l'individu est un droit naturel ; mais il est impossible de nier la dimension sociale de l'homme -  il s'agit d'un droit naturel d'importance exactement équivalente. En niant ce droit à la dimension sociale, le libéralisme a en fait favorisé l'interventionisme de l'Etat qu'il exècre publiquement. Il en résulte une double plaie et une double dictature : celle du marché et de l'Etat - où l'homme n'est plus servi mais se trouve par une suprême perversion asservi à ces deux tyrans.

    C'est ainsi que la fameuse main invisible du marché, chère à l'idéologie libérale, s'est traduite réellement dans le fiasco financier de 2008 par une main très visible de l'Etat - mise à la poche. Certains libéraux n'ont pourtant ni peur ni l'impudence d'en redemander. Le fléau ! Mieux vaudrait une invasion de crickets.

  • Poussons pas

    Sur le site fautpaspousser.com, trois synthèses-bilans sur la dépénalisation ou légalisation de l'euthanasie :

    - En Belgique
    - Aux Pays-Bas
    - En Suisse

    Si on ne peut pas tuer la maladie, tuons donc le malade.

  • Les neo-diafoirus

    diafoirus.jpg Le syndrome Diafoirus sévit de préférence chez les idéologues. Le péché originel d'une idéologie est qu'elle prend la partie pour le tout, quel que soit son champs d'action. Donc, à mesure que l'idéologie entre dans son application concrète, une tension se créé entre le réel d'une part, et la représentation que se fait l'idéologie de ce réel de l'autre. Au bout du compte, la tension est trop forte et l'idéologie vole en éclat, car elle ne dispose plus de suffisamment d'énergie pour se maintenir dans son irréalité. La vérité se suffit à elle-même et subsiste sans dépense d'énergie ; le mensonge demande toujours plus de dépense d'énergie pour compenser une entropie toujours plus élevée. Ce principe thermo-dynamique du mensonge (contre-façon du réel) est bien connu, nous ne nous y attarderons pas.

    L'idéologie conduit donc inévitablement à une catastrophe, d'autant plus rapidement et intensément qu'elle s'écarte de la juste anthropologie. Cette catastrophe est d'autre part accélérée par la grâce du psychisme humain, ce qu'on appelle le syndrome Diafoirus : lorsque l'idéologue prend conscience que sa construction disfonctionne et que le patient, à force de ses purges, se précipite de toute évidence vers un destin funeste, celui-ci ne saura prescrire qu'une dose toujours élevée de ses purges idéologiques, accélérant ainsi le processus de décomposition. Il renoue avec cette grande époque de la médecine plus dangereuse, fatale et finalement complice que la maladie elle-même. Le syndrome Diafoirus se définit donc comme la prescription obstinée et exponentielle d'un funeste remède, par la croyance que le mal vient d'une insuffisance de ce remède.

    L'on voit déjà, la débâcle de la crise des subprimes à peine passée, les Diafoirus d'un certain libéralisme poser leur remède : le mal étant la régulation, il faut déréguler ; et puisque les marchés sont déjà largement purgés dérégulés, le mal ne peut venir que du reliquat de régulation. Purgeons, purgeons, le risque est trop grand que le patient ne guérisse un jour.

    Moralité : vous avez aimé la crise des subprimes, vous aimerez celle du trading algorithmique.