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Aius Locutius - Page 49

  • Sainte Nitouche, oubliez-nous.

    guignol&gnafron.jpg C'est bientôt Noël. La saison apporte comme de juste sa ration de frimas frigorifiants, envoyant céans ses lots de petits bigots ergotants.

    « Que le ciel au besoin l’a céans envoyé / Pour redresser à tous votre esprit fourvoyé »

    C'est en effet la saison où les bégueules laïcards se mettent en chasse de tous signes ostentatoires de religion - surtout ceux où le risque de fatwa est limité. La pudibonderie de ces zélés dévots de la loi de 1905 observe de moins en moins de bornes, même pas celle du ridicule. Mais face à ce déferlement d'inepties, surtout pas d'indignation ! La raillerie est encore la meilleure des armes : tout ce qui blesse l'amour-propre et la vanité est dans ce domaine bien plus efficace que les hoquets d'âmes révoltées. Le ridicule peut tuer * , alors n'hésitons pas un seul instant et ridiculisons ces prudes. C'est le meilleurs moyen de refroidir la déferlante ubuesque, digne du meilleur théâtre de Ionesco et Beckett.

    Réservons l'indignation là où la dignité est attaquée. Pour le reste, c'est l'arme du pauvre, des sans ressources. S'il n'y a plus beaucoup d'esprit dans ce pays laminé par les usines à crétins, il ne faut pas craindre de le ressuciter.

    Note :
    * On parle bien ici du ridicule des situations...

  • Il n'y a de dieu que Dieu

    titien_sacrifice-isaac.jpg La culture religieuse est, en Occident, aussi fantomatique que sa pratique. Aussi n'est-il pas surprenant que l'on parle avec confusion de "la" religion, au lieu qu'il n'existe réellement que des religions. Sans refaire la querelle des universaux, si la religion existe, elle ne peut être qu'en rapport avec l'étant véritable de Dieu, et non tel qu'on se l'imagine ou tel que les religions se l'imaginent. Chaque religion proposant une représentation propre de Dieu et des relations qu'il faut établir avec lui, même si l'objet est le même, les sujets diffèrent grandement. Pour autant, si Dieu existe, il y a bien, parmi les religions, obligatoirement l'une plus proche de son objet que les autres. Si toutes y prétendent évidemment, cela ne signifie pas non plus qu'aucune ne le soit. Ainsi donc, si l'on peut parler de "la" religion en tant que concept, n'existent ici-bas que les religions, c'est-à-dire les différentes traductions du concept dans le réel.

    Ce n'est toutefois pas philosophiquement par souci d'universalité que l'on glose sur "la" religion, mais pour cacher une simple ignorance. Il est bien plus aisé de parler des fantasmes que l'on se fait à propos de "la" religion, plutôt que de se prononcer sur une religion particulière au risque d'exposer son ignorance en pleine lumière.

    Ainsi par relativisme et ignorance assimile-t-on sans pudeur aucune les trois religions monothéistes. Entendons par là le judaïsme, le christianisme et l'islam. Toutes trois ne sont-elles pas filles d'Abraham ? Eh bien erreur. Le judaïsme est d'entrée de jeu une religion à part, n'ayant dans sa forme même aucune vocation universelle : cette religion est l'histoire et l'affaire d'un peuple, ou plutôt du lien entre Dieu et un peuple mystérieusement choisi.  Ce peuple doit certes être la lumière des nations, mais ce peuple seul.

    Le christianisme se situe quant à lui dans l'accomplissement d'une des raisons de cette alliance, de cette ouverture aux nations. A la fois rupture et continuité dans l'histoire de cette révélation de Dieu aux hommes, le christianisme est l'oeuvre d'un scribe avisé qui puise dans le trésor de sa tradition du neuf et de l'ancien.  Le Christ, pourrait-on dire, ne fait rien sans les prophètes, mais fait toute chose nouvelle ; ainsi continuité dans ce que le judaïsme avait de prophétique, rupture pour le reste (notamment pour une grande partie des 613 articles de la loi mosaïque, embrassés par l'unique article de la loi d'amour de Dieu et du prochain).

    Autre chose l'islam. L'islam est en rupture radicale avec l'idée même de révélation. Il est vain d'y chercher une quelconque économie de la révélation, un Dieu qui se révèle peu à peu dans l'histoire, selon les capacités de l'homme à le comprendre et à se défaire de l'idôlatrie. L'islam se veut au contraire retour intègre à la religion des patriarches, principalement Abraham. Celui-ci est la  figure du parfait musulman, contrairement au judaïsme et au christianisme qui ont subi les outrages de la corruption du message divin, voire de sa falsification. Et certes Moïse n'est pas juif autant que Jésus-Issa n'est "chrétien" ; ils sont tout deux de bons musulmans, porteur eux-aussi du Coran, mais trahis par la fourberie de leurs successeurs.

    Ces gens qui parlent de "la" religion font la même erreur, par ignorance aussi, concernant les textes sacrés. Reprenant cette idiotisme aussi pratique qu'irréel des "Gens du Livre" cher à l'islam *, ils veulent là aussi se persuader que juifs, chrétiens et musulmans partagent une tradition scripturaire d'essence identique. Il n'en est rien ; mais cela leur permet de relativiser la violence génétique de l'islam : "certes, disent-ils, il y a des sourates appelant au meurtre et au massacre, et la tradition islamique fait de Mahomet un meurtrier et un chef de guerre - mais l'on retrouve cette violence également dans la bible."
    Cette affirmation n'est vraie qu'accidentellement. En essence, elle est gravement erronnée, et ceci s'explique précisément par la problématique de la révélation dans l'islam. Dans cette religion, la révélation est exclusivement verticale : Dieu charge un de ses anges de transmettre directement sa Parole à un homme choisi, son prophète. L'ange récite verbatim le contenu de ce livre, le Coran, co-éternel, incréé, inimitable, descente de la parole divine transmise intégralement et sans corruption. Aussi bien quand une sourate incite à combattre et à tuer l'infidèle, c'est la bouche même de Dieu qui parle - non celle d'un Mahomet qui serait plus ou moins bien inspiré. Non avons aussi parlé de la non-historicité de la révélation dans l'islam : il n'y a pas d'économie de la révélation : celle-ci est transmise  du haut vers le bas, sans intermédiaire humain, sans considération pour l'histoire (avec la nuance des versets dits médinois et mécquois). Certes la révélation et la constitution du Coran se construisent dans une durée, mais le contenu lui-même est bien uchronique.

    Il n'en va pas de même dans les religions juives et chrétiennes :
    1° - la révélation est à la fois certes verticale - Dieu en prend l'initiative, mais aussi horizontale : celle-ci à cours tout au long de l'histoire du peuple juif et chrétien - la révélation est mise en mouvement pour ainsi dire par la force du temps, de l'histoire, ce que traduit bien cette expression de peuple de Dieu en pélerinage sur terre.
    2° - cette révélation est transmise non directement, mais par des hommes sous l'inspiration de Dieu (de l'Esprit-Saint). La bible est donc une collection de livres inspirés, ce qui la rend ouverte aux interprétations. Et puisqu'elle s'ouvre progressivement à la révélation, jusqu'à son  sommet et sa clé d'interprétation qui est le Christ (pour les chrétiens évidemment), puisque la bible fut écrite par des hommes de leur temps, ceci exige à chaque fois discernement et contextualisation, pour en extraire une exégèse qui ne serait pas exclusivement théologique, mais aussi historico-culturelle. Donc, lorsque Dieu commande dans l'ancien testament l'anathème sur certaines tribus ennemies d'Israël, nous pouvons y voir non l'incitation à massacrer qui n'est pas Juifs en tout temps et tout lieu, mais un évènement bien circonscrit dans l'espace et le temps, dont la signification et la portée peuvent être sujets de réflexion, et en gardant à l'esprit que la révélation n'est alors pas aboutie mais partielle et en devenir.

    Conclusion :
    Cette différence essentielle dans la révélation et son mode de transmission change tout - et fait de l'islam une religion en rupture totale avec les traditions juives et chrétiennes. Il est impossible, pour faire simple, de mettre les trois monothéismes dans le même sac. L'islam est, par rapport au judaïsme et au christianisme, une sorte d'électron libre qui, en voulant s'incruster d'autorité sur la tradition juive et chrétienne, en a modifié radicalement la structure atomique au point d'en faire un autre élément.

    Il y a des appels au meurtre dans l'Ancien testament. Il n'y en a pas dans les évangiles. Il y en a à nouveau dans le Coran. Mais si l'on garde en tête la différence essentielle de la révélation dans l'islam, on est obligé d'admettre que cette violence est de nature très différente : la cause première et les effets, tout diffèrent radicalement, ce qui fait que la violence du Coran ne peut en aucun cas être mis sur le même plan que celle de l'Ancien Testament.

    Note :
    * Juifs et chrétiens sont des gens avec des livres - et ne s'en tiennent d'ailleurs pas seulement à une seule source qui serait exclusivement scripturaire dans leurs Traditions. Cf texte constitutif de l'Eglise catholique "Dei Verbum" par ex.

  • Tout condamné à mort, etc.

     Nous sommes passés d'une morale culpabilisante à une morale de déculpabilisation tout aussi catastrophique. Là où il n'y avait pas culpabilité, l'on condamnait. A présent, là où il y a faute, on absout par déni de culpabilité - celle-ci étant au final plus condamnable que la faute elle-même.

    Il s'agit en fait de s'attaquer à l'un des attributs caractéristiques des derniers hommes : le sentiment de justice et son corollaire. Si la faute engendre la culpabilité, supprimons la culpabilité et ce sera la preuve qu'il n'y a point de faute.

    Le déni de culpabilité impose en réalité à l'homme le poids écrasant d'une charge parfois inhumaine. Au lieu de délier, elle recouvre une chaîne massive et pesante d'un voile pudique indigent. La raison de cette inefficacité est simple : supprimer le sentiment de culpabilité revient à supprimer en l'homme le sentiment de justice. C'est une pure lubie post-moderniste ; l'un des innombrables contes de fées que ce désastre écervelé aime tant se raconter à lui-même. Pour preuve : même la pire des crapules sait réclamer son dû. On ne peut nier ce sentiment de justice qui imprègne tant l'esprit humain - il serait tout aussi absurde de nier l'existence de son estomac ou de sa prostate.

    Bien de ces nouveaux médecins des âmes sont dans ce genre de dénégation. Autant leur rôle est utile lorsqu'ils libèrent d'une fausse culpabilité, autant ils sont néfastes et aggravent le mal lorsqu'ils persuadent d'une innocence falsifiée. Confondre les maux avec les symptômes, erreur funeste - mais c'est une grande tentation lorsqu'il semble qu'il n'existe point de remède. On préfère alors souvent le pire à l'impuissance.

    C'est l'une des inspirations les plus géniales de l'Église catholique. Là où l'homme s'enchaîne dans son injustice et semble impuissant à s'en libérer, où l'espérance semble alors se dessécher comme sur un sol devenu trop acide, l'Église seule sait réconcilier admirablement l'homme avec lui-même et sa propre justice. Il y  a un préalable son efficacité : la conversion, c'est-à-dire la reconnaissance de sa culpabilité. Il y a, avant la miséricorde divine réelle et efficace, nécessité pour l'homme de se rendre justice. Aussi, nous persuader de non-culpabilité quand nous sommes vraiment coupable, c'est ajouter le crime au crime ; condamner à perpétuité.
    Ce sacrement de réconciliation est vu par ceux qui ne savent pas comme une corvée de fardeau - qui s'ajoute à d'autres pesants. Mais il s'agit bien de l'inverse : ce sacrement nous débarasse d'un fardeau inhumain dont nous nous sommes chargé. C'est précisément parce que ce sacrement libère que tout complote à nous faire accroire l'inverse.

    Il serait vain de compter le nombre d'hommes ainsi enchaînés, l'espérance toute éteinte, que l'Eglise a délié et rendu à la vie.

  • L'athée, son discours et ses pinceaux

    Il est inutile de se lancer dans de grandes fresques apologétiques pour contrer le verbe des athées militants. Il suffit, comme avec les sots, de les laisser barboter dans le jus de leur discours.

    Ainsi lors d'un débat entre Tony Blair et Christopher Hitchens, ce dernier nous explique la religion (laquelle au juste ?) avec des arguments plutôt habiles : "And over us to supervise this is installed a celestial dictatorship. A kind of divine North Korea." On pourrait traduire ainsi : "Et au dessus de nous, pour superviser tout ceci [la création et le plan de Dieu], se trouve une dictature céleste. Une sorte de Corée du Nord divine."

    Appeler ainsi à la barre la dictature la plus athée du monde pour accuser la religion (mais laquelle bon sang ?), voilà qui pose un gros problème à la charité chrétienne ; on ne tire pas sur l'ambulance, c'est dans le décalogue au onzième article. Si donc à présent les athées posent d'un coup leurs arguments très théoriques, et leur réfutation des plus pratiques, ils font là preuve d'une charité qui ne figure même pas dans l'enseignement du Christ. Cela seul ferait vaciller notre foi !

    Puisque ceci est absolument énorme d'ânerie, la seule solution intellectuellement acceptable est que les athées de notre temps ne sont point de la race des Celse et autres polémistes des premiers siècles, mais bien les apologistes les plus doués de l'histoire du christianisme. Hitchens, vous êtes sans doute un don du ciel, en tout cas le meilleur avocat de Dieu - nous ne voyons pas d'autres explications.

    Ce genre d'individu est pour nous chrétiens, finalement très reposant. Et le XX° ayant définitivement consacré l'athéisme militant comme plus grande catastrophe humaine de tous les temps, le débat s'est clôt pour ainsi dire par les oeuvres. Ca n'est même plus une question de foi.

  • Dieu reconnaîtra les saints

    Martyre_de_St_Matthieu__Eglise_St_Louis_des_francais__Rome_Caravaggio.jpg On voit fleurir ces temps-ci sur quelques dépêches et notes de blogs, des demandes pour que soient canonisés incessamment les victimes de l'attentat anti-chrétien de la cathédrale Sayidat al-Najat de Bagdad. Ce genre de revendication semble très imprudent - et elle ne sera d'ailleurs pas exaucée, pour les raisons suivantes que tout le monde entendra : 

    Être victime ne fait pas de vous un innocent par ailleurs, ni a fortiori un martyr et saint, combien même vous succombez en tant que chrétien et dans une église. Cela fait de vous une victime chrétienne, victime dans une église, et cela est déjà bien tragique.

    La victime n'est pas essentiellement un être bon et pur, ni ne le devient par la simple grâce du statut de victime. Elle est simplement une victime dans une circonstance donnée. Nous voyons des personnes, qui, du statut de victimes, passent sans état d'âme au statut de criminels. Si nous n'en voyons pas, nous pouvons très facilement l'imaginer - l'histoire est remplie de ces sinistres renversements ou la victime devient bourreau. Il faut donc être autre chose que simplement victime pour prétendre à la sainteté, combien même on est victime dans un lieu saint. Ou alors il faut aussi canoniser les victimes de la tour de Siloé.

    Qui peut dire en outre qu'à la messe ne viennent que des gens aux vertus héroïques ? Mais c'est exactement l'inverse : y viennent les éclopés, les malades ayant besoin du médecin.  Un messalisant serait-il par essence pur comme une colombe ? N'y trouve-t-on jamais d'escrocs ou de criminels ? Allons-donc !  Qu'une personne soit sainte non par ses propres bonnes actions, mais par la seule vertu d'une mauvaise action d'autrui, voilà qui serait extraordinaire. Si la sainteté est une affaire sérieuse, cela est rigoureusement impossible. Le mauvais gérant est loué pour son habileté, non pour son état d'escroc ; une personne est canonisée pour son exemplarité, non par son état de victime.
    L'Église ne prendra donc certes pas le risque de canoniser une personne dont la vie n'aura pas été exemplaire, d'une manière ou d'une autre. Or la tragédie de Bagdad ne fait partie que des aléas de la vie, qui peuvent être brutaux. Si donc il doit y avoir des saints parmi les victimes, et peut-être y en a-t-il après tout, cela sera après une enquête minutieuse de discernement, dans l'absolu respect des formes.

    Finalement le martyr meurt en martyre, en témoin de sa foi. Ainsi, lorsque lui est donné le choix entre le reniement de sa foi et le supplice, il choisit de témoigner.* N'est-ce pas précisémment ce que nous rappelle le film "Des hommes et des dieux" ? Être victime ne demande aucune vertu, ni aucun courage. Dans le cas de cette fusillade, il n'est pas évident que la victime ait eu la possibilité de témoigner de sa foi. Qui peut assurer qu'elle l'aurait fait par ailleurs ? sonder les reins et les coeurs est une prérogative divine.

    Parce qu'une victime n'est pas innocente par essence, parce que la sainteté se juge sur des actes et non des produits de circonstances hasardeuses, y compris pour ce qui concerne le martyre tel que l'entend l'Eglise catholique, il n'est pas possible de canoniser immédiatement, sans enquête et sans discernement, les victimes de cette tragédie. Le dire n'est insulter le malheur de personne, c'est tenir un langage de prudence.

    Il n’y a pas de sainteté sans renoncement et sans combat spirituel (cf. 2 Tm 4). CEC art 2015 - Et Dieu reconnaîtra les saints, de toute façon.

    Note :
    * Il y a sans doute d'autres circonstances qui font de vous un martyr ; il ne me semble pas qu'il ne fût jamais qu'un fruit du hasard.