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Aius Locutius - Page 53

  • Le testament d'un égaré

    rousseau.jpg"Fuyez ceux qui, sous prétexte d'expliquer la nature, sèment dans les coeurs des hommes de désolantes doctrines, et dont le scepticisme apparent est cent fois plus affirmatif et plus dogmatique que le ton décidé de leurs adversaires.  Sous le hautain prétexte qu'eux seuls sont éclairés, vrais, de bonne foi, ils nous soumettent impérieusement à leurs décisions  tranchantes, et prétendent nous donner pour les vrais principes des choses, les inintelligibles systèmes qu'ils ont bâtis dans leur imagination. Du reste, renversant, détruisant, foulant aux pieds tout ce que les hommes respectent, ils ôtent aux affligés la dernière consolation de leur misère, aux puissants et aux riches le seul frein de leurs passions ; ils arrachent du fond des coeurs le remords du crime, l'espoir de la vertu, et se vantent encore d'être les bienfaiteurs du genre humain. Jamais, disent-ils, la vérité n'est nuisible aux hommes. Je le crois comme eux, et c'est, à mon avis, une grande preuve que ce qu'ils enseignent n'est pas la vérité."

     

    Il est clair que l'auteur nous demande ici de fuir le post-rousseauisme de toute notre raison. Car on n'en finit plus de mesurer le désastre de la mise en pratique de cette philosophie criminellement optimiste - les unités nous manquent à dire vrai. Il serait vain de recenser toutes les théories et idéologies de ces quarantes dernières années qui s'en réclament, sans compter toutes celles qui se reconnaîtront dans le portrait (ne va-t-il pas comme une seconde peau à la "théorie du genre", et à tous ces rejetons difformes du progressisme ou modernisme* aux noms trompeurs ?) 

     Triste lot tout de même, qui donne à chacun d'être plus lucide contre son voisin que pour soi-même.

    "Jamais, disent-ils, la vérité n'est nuisible aux hommes. Je le crois comme eux, et c'est, à mon avis, une grande preuve que ce qu'ils enseignent n'est pas la vérité."

    C'est en effet un critère sans nul autre pareil. L'inconvénient est que pour en user et juger du fruit, il faut bien l'avoir eu en main.

    * Constat désabusé d'un apôtre du "modernisme" :
    "Après être entrés en pleine modernité pop avec le plastique, nous devons faire face aux désillusions de la post-modernité : ses dégâts irréversibles, ses problèmes insurmontables nous obligeant à faire des choix tragiques."
    La vérité n'est jamais nuisible aux hommes.

  • Des hommes et Dieu

    MantegnaChristMort.jpg On a beaucoup glosé sur le film de Xavier Beauvois, "Des hommes et des dieux." Inutile donc de s'attarder sur l'objet du film, seulement sur quelques scènes.

    Il y a évidemment la dernière cène, chant du Cygne sur fond sonore du Lac des Cygnes, mise en abîme du film tout entier.

     Il y a aussi une scène scandaleuse, celle où l'on voit un cadre du GIA, un terroriste donc, en un mot un assassin, se faire soigner au monastère. Il est couvert de sang, surtout les mains : on l'a vu égorger un ouvrier croate sur un chantier de sang-froid. On a vu les images des attentats, on a entendu des nouvelles de jeunes filles exécutées pour avoir eu l'indécence de ne pas se voiler. Alors pourquoi soigner et sauver un type qui va sans doute récidiver ? La raison s'y oppose : n'est-ce pas criminel en vérité, et contre la loi ?
     Le plan qui montre le blessé sur son lit d'hôpital, crapule sanglante sous un drap immaculé, esquisse une explication. Le point de vue de la caméra est à peu de chose près le point de vue d'André Mantegna lorsqu'il peignit son "Christ mort" (oeuvre plutôt ratée esthétiquement - qu'importe). Ainsi le moine pose-t-il son regard : il voit le Christ dans chaque homme, fût-il le dernier des larrons. C'est incompréhensible si on ne croit pas que Jesus est Dieu, mort à cause des hommes et de leurs fautes. Le monastère n'est pas la cité des hommes, c'est déjà la cité de Dieu : on ne condamne pas, on sauve ce qui peut-être sauvé. N'empêche...

    L'autre scène marquante est le survol du monastère par un hélicoptère de l'armée. Face à face étourdissant entre cet ange noir, inquiétant, écrasant tout du bruit de sa voilure tournante hurlante, et cette petite église un peu minable, entièrement vulnérable, mais si sereine et paisible. Vacarme contre chant. Intrusion démoniaque, viol de ce hâvre de paix ; image d'une armée censée protéger, mais au final aussi menaçante que les terroristes qu'elle combat (rappel, de fait, que le rôle de l'armée dans l'assassinat des moines de Thibhirines est des plus troubles). Mais les moines ne cédèrent pas à l'intimidation.

  • Delirium tremens, ou le goût amer de l'absinthe

    degas-absinthe.jpg  Ou comment un obscur "pasteur" américain, célèbre parmi ses poules et ses canards mais connu de strictement personne, parvient à menacer la tranquillité du monde par la seule grâce de la loupe médiatique. Voilà une non-personne et un non-évènement entièrement fabriqués, transformés par une alchimie de presse en affaire d'Etat, quand le quidam aurait dû faire l'entre-filet du Florida Alligator Daily News, entre la réunion du club de tricot en point turc et le gagnant du concours de poker des pensionnés de la GM.

    Qu'importe le vin pourvu qu'on ait l'ivresse. L'alcool rend aveugle, l'absinthe rend fou, la presse les deux à la fois. Mais lorsque la presse s'enivre d'un évènement qu'elle a elle-même créé ? Fou celui qui se sert dans son alambic !

    Car enfin, qui ne se ficherait des soirés barbecues d'un sombre cinglé du fin fond de l'amérique des Hillbillies ? La presse. Elle dit : non, on ne se fout pas des barbecues ; les barbecues c'est sacré, et on n'y brûle pas n'importe quoi. C'est qu'on a des principes, monsieur.

    Au fait, pourquoi j'en parle de ce type ? Chienne de vie, qu'est-ce qu'on s'emmerde - patron, la même chose !

  • Les gargouilles

    gargouilles-strasbourg.jpg Il y a des hommes qui n'oeuvrent que pour la destruction de l'homme. Ils sont possédés, pris d'une fureur et d'une rage contre le genre humain. Ce sont des suicidaires trop lâches pour passer à l'acte seuls, ils ont besoin que toute une société les accompagne. Rien est alors trop bête, trop stupide, trop dément pour parvenir à cette fin.

    Pour cette raison, il faut rendre grâce à Mgr Anatrella qui a le courage de se faire le boueux d'idéologies dites post-modernes. On le voit curer avec bravoure toutes les boues d'épuration, vomies des collecteurs d'une société qui ne sait produire que des ordures - ainsi la théorie du genre. Dans n'importe quel système d'égoût, l'on rejette au loin, dans un cul de basse fosse. Mais ici la fiente est réinjectée dans le système vital, comme des gargouilles qui recracheraient au-dedans, et finiraient par noyer le coeur.

    Quant à nous le courage nous manque à l'idée d'affronter de telles gaudrioles. Ils nous provoquent de trop bas. Ils ne sont plus dans la raison. Leur jus est indigeste et par trop acrimonieux, il dissout le suc gastrique. Quoi de plus démoralisant en effet que d'avoir à prouver l'évidence (nous sommes bien réduits à le faire). Voilà sans doute l'exercice intellectuel le plus ingrat, le plus mal payé qui existe. Il faut donc du courage, et le courage physique n'est pas ici la moindre des vertus, tant ceux qui n'ont pas de raisons à faire valoir n'ont plus que la violence à opposer.

    Mais lui prélève patiemment des échantillons, et s'astreint, par une discipline qui ferait pleurer le plus endurci des stylites, à déconstruire patiemment leur déconstruction. Il nous dit : certes, une partie de l'homme est construite avec du culturel, mais prendre cette partie pour le tout, l'erreur est par trop grossière. Il faut nécessairement que ceux qui exposent cette théorie n'y croit pas eux-même, mais soient sûrs de ses effets néfastes.

    Les benêts qui vivent dans la terreur d'être traités d'ennemis du post-modernisme avalent ces âneries sans broncher ; ils en ont avalé d'autres ;  je renvoie aux idiots utiles.

    En revanche le citoyen, que son bon sens préserverait de telles inepties, n'a pas conscience que ces théories bouffonnes sont mises en musique avec beaucoup de sérieux dans leur dos. C'est pourquoi je suggère vivement de lire la série d'interviews de Mgr Anatrella parue sur Zenit.

    Extrait : "Pour certains, l'Église serait généreuse à l'égard des étrangers et des déshérités, et rigide en matière de mœurs (surtout quand on parle du préservatif, de l'homosexualité, du divorce, de l'avortement et de l'eugénisme avec, entres autres, la trisomie 21 quand ce n'est pas l'euthanasie). Elle n'est pas rigide, bien au contraire, elle est libre, lucide et ouverte sur la vie comme l'exige le Christ, puisque c'est toujours au nom du même principe qu'elle intervient et structure sa relation au monde : le respect de la dignité humaine, le respect de l'expression sexuelle qui est une modalité de la relation amoureuse seulement engagée entre un homme et une femme, et le respect de la vie de son commencement à sa fin. Toutes choses contestées, par ailleurs, par la théorie du genre puisque chacun est son propre créateur et pourquoi pas son destructeur et l'exterminateur des vies qui ne sont pas utiles ! Une nouvelle idéologie technocratique et idéaliste tout aussi meurtrissante que les précédentes !"

    On sent bien dans ces idéologies tout le relent vaporeux des théories de Sartre, jusqu'à la nausée. Qu'on nous serve encore le jus insipide de l'intellectuel le plus brillant et le plus fourvoyé du siècle dernier, voilà encore un prodige qui en dit long sur l'état de la raison. Celle-ci n'en finit plus d'agonir depuis la fin du Moyen-Âge.

  • Le bâton de la morale, ou comment l'intellect corrige l'affect

    signorelli_Jugement_dernier.jpg   Que des évêques prennent position sur des sujets de société voire politiques, quoi de plus normal : après tout, par la grâce même de la séparation de l'Église et de l'Etat, l'Église n'est tenue à aucun devoir de réserve vis-à-vis de qui que ce soit. Et un évêque est aussi citoyen : sa parole est autant légitime que celle d'un Besancenot ou d'un Coluche.

    Cependant, un évêque ne parle pas seulement pour lui-même, ni pour son diocèse ; il est un visage de l'Eglise catholique aux yeux du monde. Aussi sa parole doit-elle être scrupuleusement pesée.

    Il y a peu (vendredi 27 apparemment) , selon les media, l'évêque de Toulouse, dressa une comparaison entre l'expulsion des camps illégaux de Roms en France, et les déportations de Juifs pendant la seconde Guerre Mondiale. Le CRIF a réagit aussitôt, se disant consterné par un tel amalgame.
    Quant à nous, si ces propos sont avérés, nous les trouvons simplement anachroniques, non pertinents, improductifs, en bref  bassement stupides, comme l'est tout propos qui n'a pas fait l'objet d'un discernement préalable sur une question morale.
    Bref, cet évêque a manqué une occasion de se taire ; sans doute faut-il y voir l'expression d'un malaise, qui tiendrait pour bonne part aux reproches médiatiques de l'attitude des évêques de France face aux déportations pendant l'Occupation. Il leur est reproché d'avoir été trop discret, voire inerte, et il est probable que nos évêques, hantés par ce passé et ces reproches, soient attentifs à ne pas s'offrir en deuxième repentance, et même enclin à l'excès inverse. Encore faut-il, lorsqu'on se prétend pasteur, donner au moins l'apparence que l'on s'est exercé au discernement préalable, et pas seulement à la grandiloquence. Le bavardage, sauf rajouter son petit bruit de fond, n'a jamais clarifié le signal de la vérité.

    Pourtant, les outils de discernement à disposition du pékin que nous sommes ne manquent pas. Il suffit, lorsqu'on est catholique et que l'on se trouve face à un cas de conscience, d'ouvrir son catéchisme, chose que d'aucuns négligent apparemment. Faute professionnelle.

    Puisqu'il faut tout faire soi-même dans cette maison, ouvrons-le à sa place,  directement à la troisème partie, première section.

    Tout procède de l'art 6, la conscience morale :

    - 1776 "Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal, au moment opportun résonne dans l’intimité de son cœur ... C’est une loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme. La conscience est le centre le plus intime et le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre" (GS 16).

    Prélude de tout, en rien aboutissement, nous aurions aimé que notre évêque soit informé de la suite :

    - 1778 "La conscience morale est un jugement de la raison par lequel la personne humaine reconnaît la qualité morale d’un acte concret qu’elle va poser, est en train d’exécuter ou a accompli. En tout ce qu’il dit et fait, l’homme est tenu de suivre fidèlement ce qu’il sait être juste et droit. C’est par le jugement de sa conscience que l’homme perçoit et reconnaît les prescriptions de la loi divine."

    Qu'on prenne garde : le jugement n'est pas le jugement de n'importe quelle faculté. Un enfant juge par les sensations, en fonction du plaisir ou de la douleur. Un adolescent juge par l'affect, en fonction des émotions. Mais nous demandons à un évêque de faire disparaître ce qu'il était de l'enfant (pour ce qui est du jugement), ainsi saint Paul : "Lorsque j'étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant ; une fois devenu homme, j'ai fait disparaître ce qui était de l'enfant." (1 Cor 13,11).
    De fait, la capacité à être affecté est bien nécessaire pour amorcer le jugement (la prise de conscience), mais la faculté qui doit être sollicitée dans le domaine de la conscience morale est bien la raison - en vue du bien - telle que disposée par le CEC : l'on parle bien ici du "jugement de la raison".

    Poursuivons :

    1780 "La dignité de la personne humaine implique et exige la rectitude de la conscience morale. La conscience morale comprend la perception des principes de la moralité (" syndérèse "), leur application dans les circonstances données par un discernement pratique des raisons et des biens et, en conclusion, le jugement porté sur les actes concrets à poser ou déjà posés. La vérité sur le bien moral, déclarée dans la loi de la raison, est reconnue pratiquement et concrètement par le jugement prudent de la conscience. On appelle prudent l’homme qui choisit conformément à ce jugement."

    A ce regard, notre évêque paraît quant à lui bien imprudent, comme un enfant qui traverserait une route sans tenir compte des feux.

    Le discernement de l'homme, dans les questions où la loi morale doit s'appliquer, fait appel largement à la raison. Mais la raison n'est ici qu'un agent : face à des situations complexes où l'intuition du bien et du mal ne suffit plus, il est nécessaire de disposer de critères objectifs sur lesquels la raison appuie avec sûreté son jugement, c'est-à-dire un référent immuable ; l'un des critères avancés par le CEC est la "loi naturelle" (chp 3, loi morale) :
    - 1954 "L’homme participe à la sagesse et à la bonté du Créateur qui lui confère la maîtrise de ses actes et la capacité de se gouverner en vue de la vérité et du bien. La loi naturelle exprime le sens moral originel qui permet à l’homme de discerner par la raison ce que sont le bien et le mal, la vérité et le mensonge."

    La loi naturelle (loi inscrite au coeur de tout homme, indépendamment de sa culture ou de sa position spatio-temporelle, et qui précède la loi écrite ou positive)  n'est pas une invention de l'Eglise catholique : on la retrouve chez les Grecs, notamment chez Xenophon dans "les Mémorables", Livre IV 4,19 :
    - Connais-tu, Hippias, reprit Socrate, des lois qui ne sont pas écrites?
    - Oui, celles qui sont les mêmes dans tous les pays et qui ont le même objet.
    - Pourrais-tu dire que ce sont les hommes qui les ont établies ?
    - Comment cela serait-il, puisqu'ils n'ont pu se réunir tous et qu'ils ne parlent pas la même langue?
    - Qui donc, à ton avis, a établi ces lois?
    - Moi, je crois que ce sont les dieux qui les ont inspirées aux hommes ; car chez tous les hommes la première loi est de respecter les dieux.
    - Le respect des parents n'est-il pas aussi une loi universelle?
    - Sans doute.
    - Et les mêmes lois ne défendent-elles pas la promiscuité des parents avec les enfants et des enfants avec les parents?
    - Pour cette loi, Socrate, je ne la crois pas émanée d'un dieu.
    - Pourquoi donc?
    - Parce que j'en vois certains qui la transgressent.
    - On en transgresse bien d'autres; mais ceux qui violent les lois établies par les dieux subissent un châtiment auquel il est impossible à l'homme de se soustraire, tandis que ceux qui foulent aux pieds les lois humaines échappent quelquefois à la peine, soit en se cachant, soit en employant la violence.

    Les stoïciens, comme Cicéron ou Sénèque, expliciteront davantage, ainsi que le mentionne le CEC :
    - 1956 Présente dans le cœur de chaque homme et établie par la raison, la loi naturelle est universelle en ses préceptes et son autorité s’étend à tous les hommes. Elle exprime la dignité de la personne et détermine la base de ses droits et de ses devoirs fondamentaux : "Il existe certes une vraie loi, c’est la droite raison ; elle est conforme à la nature, répandue chez tous les hommes ; elle est immuable et éternelle ; ses ordres appellent au devoir ; ses interdictions détournent de la faute ... C’est un sacrilège que de la remplacer par une loi contraire ; il est interdit de n’en pas appliquer une seule disposition ; quant à l’abroger entièrement, personne n’en a la possibilité" (Cicéron, rép. 3, 22, 33).
    Ou encore : "Dieu est l’inventeur d’une loi qui n’a pas besoin d’interprétation ou de correction puisqu’elle est présente en tous les êtres rationnels ; elle est la même à Athènes ou à Rome, hier et demain. Celui qui ne la respecte pas se fuit lui-même pour avoir méprisé la nature de l’homme".
    Et ensuite :
    - 1959 Œuvre très bonne du Créateur, la loi naturelle fournit les fondements solides sur lesquels l’homme peut construire l’édifice des règles morales qui guideront ses choix.

     Or donc, quelle est-elle cette loi naturelle ? Elle reprend les cinq aspirations fondamentales de tout être humain :

    1) Aspiration au bien et au bonheur.
    2) Instinct de conservation de l'être.
    3) Inclination à la vie affective et l'union sexuelle.
    4) Inclination à la connaissance de la vérité.
    5) Inclination à la vie en société
    +> aucune de ces aspirations ne peut se réaliser au détriment d'une autre (concrètement l'aspiration à l'union sexuelle ne valide pas le viol, l'aspiration au bonheur le vol, ou l'instinct de conservation la mise en danger de la vie d'autrui). Il est nécessaire d'avoir une approche en quelque sorte "holiste" de ces aspirations.

    Cette loi naturelle se retrouve explicitée dans le décalogue, incluse et débordée dans le commandement d'amour du Christ. La loi positive DOIT procéder de cette loi naturelle, autrement elle se condamne et se rend illégitime.

    Lors donc que l'on s'interroge si l'expulsion d'une communauté étrangère, en l'occurrence les Roms, est immorale ou non, il faut prendre en compte dans le jugement final :
    - le respect ou non  de la loi  naturelle - donc de la dignité de ces personnes (nous disons le bien ou le mal).
    - le satut des personnes, étrangères ou citoyens - c'est à dire ce qui leur est dû en terme de droit (c'est-à-dire de la loi positive : nous disons le juste ou l'injuste, sachant qu'il n'y a point de justice dans le mal).

    L'Etat en effet a des exigences et des contraintes que n'a pas l'individu : ce qui est possible et souhaitable pour l'un ne l'est pas pour l'autre, puisque l'Etat doit prendre en compte l'intérêt général, assurer la cohésion et la solidarité entre les sociétaires, et bien sûr leur sécurité, AVANT TOUT. C'est le pilier du contrat social, ce qui fait que l'individu accepte les contraintes d'un Etat. Dès lors qu'un Etat se préoccupe davantage d'un étranger au détriment d'un sociétaire, c'est son principe d'existence qui est remis en question.
    Ainsi un individu peut-il obéir à des commandements ou des principes auxquels n'est pas tenu un Etat : par exemple aucun Etat ne peut traduire en droit les commandements suivants du Christ : "A qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre ; à qui t'enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique, à quiconque te demande, donne, et à qui t'enlève ton bien, ne le réclame pas." (Lc 6:29-30) 
    Chacun voit bien qu'un Etat qui autorise ses concitoyens à se dépouiller les uns les autres  ne survivra pas longtemps. Même la papauté, au plus fort de sa domination temporelle, n'a jamais validé de telles lois en termes positifs. En revanche, qu'un individu suive ces préceptes à la lettre est tout à fait envisageable.
    Il faut donc prendre garde, lorsqu'on juge l'action morale d'un Etat, de bien avoir conscience de son essence même, sous peine de rester improductif. L'Etat est tenu à la loi naturelle, pour tous, mais il n'est pas tenu à la loi de l'amour.

    Donc, puisque dans ce cas il nous faut distinguer le citoyen de l'étranger (pour juger précisément ce qui est dû à chacun), et l'Etat de l'individu (pour juger ce qui est possible du souhaitable), nous voyons parfaitement que :
    1° - les expulsions ou reconduites dans leur modalité actuelle n'enfreignent ni la loi naturelle, ni la loi positive. Si oui, nous attendons une démonstration du contraire (par exemple que les Roms risquent leur vie s'ils retournent dans leur pays, ou que les enfants sont séparés de leurs parents, où que la dignité des Roms en tant que personne est bafouée, ceux-ci étant convoyés par avions de ligne, ou par d'autres façons).
    2° - que si un pays de tradition chrétienne se doit d'être accueillant, il appartient à l'accueilli, qui vient librement et sans contrainte, de respecter à la fois l'accueillant et les lois du pays d'accueil, et ne pas constituer un fardeau social insurmontable ; il n'y a certes rien de déraisonnable dans ces exigences, dans la mesure où les citoyens sont eux-mêmes tenus au respect de la loi - pour autant qu'elle se conforme à la loi naturelle. Que d'autre part, l'on ne peut exiger d'un Etat qu'il soit plus généreux envers les étrangers que ses propres citoyens, et qu'en période de chômage de masse, de crise du logement, de déficit sociaux et autres, l'Etat est en droit d'ordonner soigneusement sa charité, de même que le Christ ordonna soigneusement sa prédication aux enfants d'Israël dans sa vie terrestre.

    Nous ne voyons donc, après réflexion, ni atteinte à la dignité ou l'intégrité de l'homme, ni injustice, puisque l'Etat français ne dénie pas l'accès au droit à ces personnes.

    En revanche, nous nous souvenons que, selon le CEC :

    - 1750 La moralité des actes humains dépend :
    de l’objet choisi ;
    de la fin visée ou l’intention ;
    des circonstances de l’action.

    Si l'objet choisi et les circonstances ne posent après réflexion pas de problèmes, il n'en va pas de même pour l'intention, et mon intuition est qu'il s'agit précisément de la source de toutes ces confusions et de ces malaises, très maladroitement et peu raisonnablement exprimés.
    En effet l'intention du gouvernement ne semble ici inspirée que par un souci sécuritaire de seconde main. L'impression retirée est bien que l'intention soit ici principalement électoraliste, puisqu'il a lui-même choisi de médiatiser ces reconduites ; or cette médiatisation n'a aucun caractère de nécessité.

    Voilà qui jette en définitive le doute sur le caractère morale de ces mesures de reconduites. Encore faut-il que l'Eglise, pour être audible, ne soit pas dans la posture mais dans la pastorale, et ne tape pas à côté de la plaque. On ne convainc pas des non-chrétiens à coups de versets de Bible plus ou moins pertinents, mais par une droite raison guidée par l'enseignement du Christ.
    Nous attendons donc de la part de ces évêques qu'ils nous expliquent, raisonnablement, pourquoi ils jugent les explusions de Roms immorales et comparables aux déportations des Juifs, par les outils mêmes qu'ils proposent à leurs fidèles.
    Ne nous avertissent-ils pas avec la régularité d'un coucou suisse que l"enfer est pavé de bonnes intentions" ? Luca Signorelli l'a même peint dans leurs cathédrales !

    Conclusion : nous avons insisté sur la méthode de la reconnaissance du caractère morale ou non d'une action. Il faut aussi insister sur l'obligation d'éclairer sa conscience par la connaissance la plus vaste possible du sujet de réflexion. Par exemple en prenant garde de ne pas prendre le Rom pour le bon sauvage maltraité par l'homme civilisé, mais en ayant conscience de toute la face cachée de cette misère apparente : en l'occurrence un business de la misère de type maffieux.
    Dans toutes ces opérations de prise de conscience, c'est bien l'intellect qui doit prendre le relai de l'affect.
    Nous nous étonnons également que les ténors de la morale (et nous aurions préféré entendre la voix des docteurs, des casuistes) se fassent entendre sur un pseudo-scandal des reconduites, quand ils se tenaient bien coi sur le scandale des conditions de vie -  et d'exploitation - des Roms. Voici la réalité : ces ténors sont le vrai scandale. Ils sont les idiots utiles des exploitants de la misère.

    Note : nous conseillons vivement la lecture des ouvrages de Servais Pinckaers (notamment "La morale catholique", cerf).