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Aius Locutius - Page 54

  • Useful idiots

    gericault-alienes.JPG  "The age of useful idiots is not over yet."
      "Le temps des idiots utiles n'est pas encore révolu." (John Sweeney, BBC, "The useful idiots", 07/07/2010)
    ¨
    Passionnant reportage de la BBC sur les idiots utiles, des thuriféraires de Staline à ceux d'Ahmadinejad en passant par ceux de Mao, Pinochet, Saddam Hussein.
    Avec cette grande question : comment des gens supérieurement éduqués et intelligents peuvent-ils faire preuve d'une niaiserie dépassant l'humainement possible ?
    Au moins quatre réponses sans doute :
    - L'intelligence prend plusieurs formes, parmi lesquelles la capacité de spéculation et d'abstraction n'en est qu'une. On peut donc être très intelligent par certains côtés, et très niais par d'autres.
    - La vanité, moteur inépuisable et jamais surestimé du genre humain.
    - La morale, à laquelle tout le monde ce réfère mais à laquelle plus personne n'est capable de rendre proprement compte. Non seulement la morale n'est plus enseignée, mais plus grave encore elle a perdu tout fondement (par la faute d'autres idiots utiles, se gargarisant d'avoir tué Dieu). Il s'ensuit de grandes difficultés de discernement, même chez des brillants intellectuels.
    - La capacité de résilience du fantasme sur la réalité. L'homme est corps et âme, et la croyance en une métaphysique est une nécessité (y compris pour le messie-athée Nietzsche pae ex. - on développera ceci peut-être dans une future note).

    Dommage que la BBC n'en ait pas profité pour faire son auto-critique, son procès d'amertume : en tant que propagandiste quasi-officielle de toute l'idéologie dite progressiste, servante docile, obséquieuse et obscène de la culture de mort, c'est-à-dire de tous ces remèdes qui accélèrent invariablement la décomposition d'une société juste, qu'avait-elle besoin de chercher des exemples d'idiots utiles au bout du monde et au bout de l'histoire ? Elle ne se serait jamais aussi bien servie que par elle-même.

     

  • La raison, le curé d'Ars et l'écologie : tout ça.

    cure-d-ars.jpg  Benoît XVI est un prophète étonnant : peut-être parce qu'il ne supporte que la vérité. Voici ce qu'il écrivit le 16 juin 2009 :

    "Il existe aussi malheureusement des situations, jamais assez déplorées, où l'Église elle-même souffre de l’infidélité de certains de ses ministres. Et c’est pour le monde un motif de scandale et de refus. Ce qui, dans de tels cas peut être surtout profitable pour l'Église, ce n’est pas tant la pointilleuse révélation des faiblesses de ses ministres, mais plutôt une conscience renouvelée et joyeuse de la grandeur du don de Dieu"*

    On ne pouvait pas mieux anticiper la tourmente qui allait secouer l'Eglise quelques mois plus tard. Mais il a raison : la vérité ne pourra jamais nuire à l'Eglise, seulement la purifier et la renforcer.

    Les accusations pleuvèrent donc, le plus souvent sans discernement aucun. La raison fut en définitive - avec les victimes de pasteurs indignes- l'une des grandes perdantes de ce délire médiatique, tant dans nos sociétés dites sécularisées (entendons athées), l'irrationnel prend sans vergogne la place laissée par Dieu, expulsé comme un vagabond. La vérité devient alors chose très secondaire au regard de l'émotion, seule juge qui ne nécessite aucun jugement.
    Clownerie d'une époque qui se targue de raison (elle la confond avec la technique, la sotte) alors que jamais elle ne fut aussi peu pratiquée. la raison demande une pratique et une culture qui ne sont plus enseignées, probablement parce que si elles l'étaient, le risque de démasquer tous ces charlatans serait trop fort. Avec une touchante naïveté, l'époque se vante d'avoir chassé superstitions et obscurantisme, comme s'il suffisait de s'en convaincre pour que ce fut, tandis qu'elle adore, l'inconséquente, des bêtes, et qu'elle tâtonne dans la pénombre. Vierge folle ayant épuisé l'huile de sa lampe.

    "Laissez une paroisse vingt ans sans prêtre : on y adorera les bêtes" **, avait dit le curé d'Ars.  C'est devenue plus qu'une théorie, un paradigme scientifique, un principe toujours vérifiable. C'est que l'homme, ici-bas, est corps et âme, ce que nie absolument et obstinément l'époque. Mais la vérité n'a que faire et existe indépendamment des convictions des uns et des autres, et cette vérité fait que, ignorée, l'âme de l'homme se meurt de d'inanition. Et l'homme est prêt à se ruer sur n'importe qu'elle nourriture pour apaiser cette faim.
    En réalité c'est toujours autre chose que l'âme qu'il nourrit. La plupart du temps ses fantasmes.

    C'est ainsi qu'on assiste au grand retour du paganisme : on vénère des arbres, des animaux. On les sacralise, on est même prêt à leur sacrifier des êtres humains pour calmer la fureur de dame nature outragée. On assiste au grand retour des prophètes de malheurs, vaticinateurs millénaristes qui nous prédisent des cataclysmes de toutes sortes : des grands froids aux grandes chaleurs, des sècheresses aux déluges : au moins, qu'ils se mettent d'accord.
    L'âme affamée délire. Elle dresse un totem à l'écologie (mais vous connaissez, vous, des écologistes qui peuvent tenir un discours raisonné sur la nature ? On les trouve surtout dans les villes, avouez que c'est mal parti ), nature déifiée qui devient la mesure de toute chose.
    En réalité pour la raison et la science, c'est là un coup fatal et parfaitement inutile : c'est bien parce que le Christianisme fait la distinction entre création et Créateur que la science fut rendu possible.
    L'écologie, comme Baal-Moloch, veut la peau de l'homme. Mais sans l'homme, la nature n'a absolument plus aucun intérêt. Il n'y a plus de différences entre le désert de la planète rouge et les mers de la planète bleue, puisque c'est l'homme seul qui peut faire cette différence.

    * & ** : in LETTRE DU SOUVERAIN PONTIFE BENOÎT XVI POUR L’INDICTION D’UNE ANNÉE SACERDOTALE À L’OCCASION DU 150e ANNIVERSAIRE DU DIES NATALIS DU SAINT CURÉ D’ARS

  • Voici l'homme

    B-Gozzoli_-Augustin-1.jpg  Benoît XVI, à l'audience générale du 30 janvier 2008, cite abondamment saint  Augustin :
    La foi et la raison sont « les deux forces qui nous conduisent à la connaissance » (Contra Academicos, III, 20, 43).

    Si l'Eglise catholique fait la distinction entre la foi et la raison, comme entre le spirituel et le temporel, elle ne rejette ni l'une, ni l'autre. Elle leur donne à chacune sa place, tous ses efforts étant de définir précisément la place de chacune, chacune ayant naturellement tendance à prendre la place de l'autre, comme une invincible volonté de puissance. Et la foi et la raison étant elles-mêmes sollicitées pour définir cette place, étant donc à la fois juges et partis, grande est la difficulté.

    Beaucoup de penseurs se sont émerveillés sur la capacité de l'Eglise à traverser les siècles, tant bien que mal, souvent plus mal que bien. L'une des raisons est simple : son discours sur l'homme, son anthropologie, est la seule qui prenne en compte, dans sa juste mesure, toutes les dimensions de l'homme : c'est la seule qui l'affirme corps et âme, donne à chacun sa place sans renier l'une ou l'autre, et prenne en compte ses besoins respectifs : les gnostiques nièrent la chair, les marxistes nièrent l'esprit : ils disparurent par leur propre faute ; on ne vit pas indéfiniment dans une erreur, surtout anthropologique. Aussi bien les mécanistes et les spiritistes, prenant la partie pour le tout, ne voyant pas que ce tout est  infiniment plus grand que la somme de ces parties, s'abusèrent et abusèrent les autres, les conduisant à un funeste destin, logique d'une logique fondamentalement erronée.

    "Grande profundum est ipse homo, cuius etiam capillos tu, domine, numeratos habes et non minuuntur in te: et tamen capilli eius magis numerabiles quam affectus eius et motus cordis eius."
    Profond abysse que l’homme, dont les cheveux mêmes vous sont comptés, Seigneur, sans qu’un seul s’égare; et il est encore plus aisé pourtant de les nombrer que les affections et les mouvements de son coeur!
    saint Augustin, Confessions, Livre IV 14,22

    "Factus eram ipse mihi magna quaestio et interrogabam animam meam."
    J'étais devenu à moi-même un grande énigme, et j'interrogeais mon âme."
    saint Augustin, Confessions, Livre IV 4,9

    Enigme et abysse d'un être aux deux origines : de Deo et ex-nihilo. A chacun de voir vers quelle origine il veut retourner. L'homme est une grande énigme et un profond abysse : il faut la foi pour le comprendre, et le comprendre pour avoir la foi.

  • Foi, science et déraison (fin)

    Tableau_Louis_Pasteur.jpg  Voici une anecdote dont nous ne saurons vraiment si elle participe de la légende ou de la vérité :
    Un jeune homme, frais et moulu de diplômes, pénètre dans le wagon d'un train en partance pour Paris. Il avise une place au fond, auprès d'un vieil homme somnolant. Le wagon tangue soudain brutalement au cours du trajet, et un rosaire tombe des mains du patriarche. Le jeune homme le ramasse, le lui rend et fait cette remarque :
    - Je suppose que vous priiez ?
    - C'est parfaitement exact, je priais.
    - Il est surprenant, reprit le jeune homme, de trouver encore de nos jours des gens croyant à toutes ces superstitions et obscurantismes. Tous nos professeurs à l'université ne croient plus à ces genres de choses.
    Le vieil homme parut surpris et amusé.
    - Mais oui, poursuivit le jeune homme, de nos jours,  les gens éclairés ne croient plus en toutes ces fadaises !
    - Pas possible ? répliqua le vieile homme.
    - Si fait, et si vous le souhaitez, je peux bien vous envoyer quelques livres qui sauront éclairer votre lanterne.
    - Eh parfait, dit le vieil homme alors que le train arrivait à bon quai. Envoyez-les moi à cette adresse - lui tendant sa carte de visite :
    "Louis Pasteur, Directeur de l'Institut Pasteur, Paris.

    Voici le discours très éclairant qu'il prononça le jour de sa réception à l'Académie Française. Il fait l'éloge de son prédécesseur, Mr Littré :

    "Le principe fondamental d’Auguste Comte est d’écarter toute recherche métaphysique sur les causes premières et finales, de ramener toutes les idées et toutes les théories à des faits et de n’attribuer le caractère de certitude qu’aux démonstrations de l’expérience. Ce système comprend une classification des sciences et une prétendue loi de l’histoire qui se résume dans cette affirmation : que les conceptions de l’esprit humain passent successivement par trois états : l’état théologique, l’état métaphysique, l’état scientifique ou positif.

    M. Littré ne tarissait pas en éloges au sujet de celte doctrine et de son auteur. Pour lui, Auguste Comte était un des hommes qui devaient tenir une grande place dans la postérité, et la « philosophie positive une de ces œuvres à peine séculaires qui changent le niveau ». Interrogé sur ce qu’il estimait le plus dans l’emploi de sa laborieuse vie, nul doute que sa pensée ne se fût portée avec complaisance sur son rôle d’apôtre sincère et persévérant du positivisme.

    Il n’est pas rare de voir les plus savants hommes perdre parfois le discernement de leur vrai mérite. C’est ce qui me fait un devoir d’un jugement personnel sur la valeur de l’ouvrage d’Auguste Comte. Je confesse que je suis arrivé à une opinion bien différente de celle de M. Littré. Les causes de cette divergence me paraissent résulter de la nature même des travaux qui ont occupé sa vie et de ceux qui sont l’objet unique de la mienne.

    Les travaux de M. Littré ont porté sur des recherches d’histoire, de linguistique, d’érudition scientifique et littéraire. La matière de telles études est tout entière dans des faits appartenant au passé, auxquels on ne peut rien ajouter ni retrancher. Il y suffit de la méthode d’observation qui, le plus souvent, ne saurait donner des démonstrations rigoureuses. Le propre, au contraire, de l’expérimentation, c’est ne pas en admettre d’autres.

    L’expérimentateur, homme de conquêtes sur la nature, se trouve sans cesse aux prises avec des faits qui ne se sont point encore manifestés et n’existent, pour la plupart, qu’en puissance de devenir dans les lois naturelles. L’inconnu dans le possible et non dans ce qui a été, voilà son domaine, et, pour l’explorer, il a le secours de cette merveilleuse méthode expérimentale, dont on peut dire avec vérité, non qu’elle suffit à tout, mais qu’elle trompe rarement, et ceux-là seulement qui s’en servent mal. Elle élimine certains faits, en provoque d’autres, interroge la nature, la force à répondre et ne s’arrête que quand l’esprit est pleinement satisfait. Le charme de nos études, l’enchantement de la science, si l’on peut ainsi parler, consiste en ce que, partout et toujours, nous pouvons donner la justification de nos principes et là preuve de nos découvertes.

    L’erreur d’Auguste Comte et de M. Littré est de confondre cette méthode avec la méthode restreinte de l’observation. Étrangers tous deux à l’expérimentation, ils donnent au mot expérience l’acception qui lui est attribuée dans la conversation du monde, où il n’a point du tout le même sens que dans le langage scientifique. Dans le premier cas, l’expérience n’est que la simple observation des choses et l’induction qui conclut, plus ou moins légitimement, de ce qui a été à ce qui pourrait être. La vraie méthode expérimentale va jusqu’à la preuve sans réplique.

    Les conditions et le résultat quotidien du travail de l’homme de science façonnent, en outre, son esprit à n’attribuer une idée de progrès qu’à une idée d’invention. Pour juger de la valeur du positivisme, ma première pensée a donc été d’y chercher l’invention. Je ne l’y ai pas trouvée. On ne peut vraiment attribuer l’idée d’invention à la loi dite des trois états de l’esprit humain, pas plus qu’à la classification hiérarchique des sciences qui ne sont l’une et l’autre que des à peu près, sans grande portée. Le positivisme, ne m’offrant aucune idée neuve, me laisse réservé et défiant.

    La foi de M. Littré dans le positivisme lui vint également des apaisements qu’il trouvait sur les grandes questions métaphysiques. La négation comme le doute l’obsédaient. Auguste Comte l’a tiré de l’un et de l’autre par un dogmatisme qui supprimait toute métaphysique.

    En face de cette doctrine, M. Littré se disait : Tu n’as à te préoccuper ni de l’origine ni de la fin des choses, ni de Dieu, ni de l’âme, ni de théologie, ni de métaphysique ; suis ton penchant de chercheur « inquiet ou charmé » ; fuis l’absolu ; n’aime que le relatif. Quelle quiétude pour cette tête ardente, ambitieuse de parcourir tous les champs du savoir !

    On s’est pourtant trompé sur cette quiétude et l’on s’est payé de fausses apparences en prétendant faire de M. Littré un athée résolu et tranquille. Les croyances religieuses des autres ne lui étaient pas indifférentes. « Je me suis trop rendu compte, dit-il, des souffrances et des difficultés de la vie humaine pour vouloir ôter à qui que ce soit des convictions qui le soutiennent dans les diverses épreuves. » Il ne nie pas plus l’existence de Dieu que celle de l’immortalité de l’âme ; il en écarte a priori jusqu’à la pensée, parce qu’il proclame l’impossibilité d’en constater scientifiquement l’existence.

    Quant à moi, qui juge que les mots progrès et invention sont synonymes, je me demande au nom de quelle découverte nouvelle, philosophique ou scientifique, on peut arracher de l’âme humaine ces hautes préoccupations. Elles me paraissent d’essence éternelle, parce que le mystère qui enveloppe l’univers et dont elles sont une émanation est lui-même éternel de sa nature.

    On raconte que l’illustre physicien anglais Faraday, dans les leçons qu’il faisait à l’Institution royale de Londres, ne prononçait jamais le nom de Dieu, quoiqu’il fût profondément religieux. Un jour, par exception, ce nom lui échappa et tout à coup se manifesta un mouvement d’approbation sympathique. Faraday s’en apercevant interrompit sa leçon par ces paroles : « Je viens de vous surprendre en prononçant ici le nom de Dieu. Si cela ne m’est pas encore arrivé, c’est que je suis, dans ces leçons, un représentant de la science expérimentale. Mais la notion et le respect de Dieu arrivent à mon esprit par des voies aussi sûres que celles qui nous conduisent à des vérités de l’ordre physique. »

    La science expérimentale est essentiellement positiviste en ce sens que, dans ses conceptions, jamais elle ne fait intervenir la considération de l’essence des choses, de l’origine du monde et de ses destinées. Elle n’en a nul besoin. Elle sait qu’elle n’aurait rien à apprendre d’aucune spéculation métaphysique. Pourtant elle ne se prive pas de l’hypothèse. Nul, au contraire, plus que l’expérimentateur, n’en fait usage ; mais c’est seulement à titre de guide et d’aiguillon pour la recherche et sous la réserve d’un sévère contrôle. Il dédaigne et rejette ses idées préconçues, dès que l’expérimentation lui démontre qu’elles ne correspondent pas à des réalités objectives.

    M. Littré et Auguste Comte croyaient et firent croire, aux esprits superficiels que leur système reposait sur les mêmes principes que la méthode scientifique dont Archimède, Galilée, Pascal, Newton, Lavoisier sont les vrais fondateurs. De là est venue l’illusion des esprits, favorisée encore par tout ce que présentaient de garantie la science et la bonne foi de M. Littré."

    ...

    Il est absolument piquant d'observer que Pasteur réfuta en son temps la théorie de la génération spontanée de ces mêmes positivistes avec rage et acharnement, et eut contre lui un certain journaliste nommé Georges Clémenceau. Il est vrai que Pasteur eut alors le tort d'être ouvertement catholique.  Voilà donc les pseudo-lumières : plus obscurantistes que l'obscurantisme qu'ils dénoncent : il est en vérité une lumière qui pique des yeux habitués aux ténèbres : parce qu'ils sont incapables de regarder cette lumière en face, qu'ils ne savent soutenir plus qu'un pâle reflet, ces myopes  traitent les autres d'aveugles. Pensent-ils ainsi gagner en acuité ?

    Nons avons démontré dans la note précédente qu'il n'y a pas d'obstacles structurels entre le christianisme (dont le catholicisme) et la science. Les obstacles qui furent réels comme l'affaire Galilée (en 2000 ans d'existence, une institution ne peut-elle souffrir le moindre errement ?) ne furent que conjoncturels.

    Nous avions aussi esquissé une traduction formelle en signalant le rôle de l'Eglise catholique dans la conservation et la dispensation du savoir. Plus de factuels :

    - En 2003 fut célébré le 400ème anniversaire de la création de l'Accademia dei Lincei, l'Académie des Lynx, l'ancêtre de l'Académie des sciences pontificales. Cette Accadémia fut fondée à Rome en 1603, sous le règne du pape Clément VIII, par Frederico Cesi. Il s'agit de la première académie exclusivement scientifique. Parmi d'anciens membres : Max Planck, Louis de Broglie, Niels Bohr, Louis Leprince-Ringuet, Georges Lemaître, Werner Heisenberg, Erwin Schrödinger, Paul Dirac.

    - Citons un extrait de l'ouvrage de James Walsh, "Catholic churchmen in science"
    "Le "Dictionnaire Biographique des sciences exactes" de Poggendorff (Biographisch-literarisches Handwörterbuch zur Geschichte der exacten Wissenschaften, enthaltend Nach-weisungen über Lebensverhältnisse und Leistungen von Mathematikern, Astronomen, Physikern, Chemikern, Mineralogen, Geologen... aller Völker und Zeiten (Leipzig, 1863, 2 vol. gr. in-8)) contient dans ses deux premiers volumes les noms de 8847 savants de la haute antiquité jusqu'à 1863. Parmi ces noms, un peu plus de 10% sont membres du clergé catholique.
    (...) Parmi les quelques 1000 ecclésiastiques distingués dans le domaine des sciences exactes, les Jésuites comptent pour 50%. En l'espace de deux siècles et demi d'existence, les Jésuites ont réussi à placer un de leur membre sur vingt [scientifiques] dont les futures générations se souviendront pour leur contribution à la science.
    Pour une société fondée avec l'objectif de suivre les volontés du pape aussi exactement que possible, qui s'est toujours dévouée à remplir cette objectif avec une fidélité exemplaire, d'avoir donné un aussi grand nombre d'hommes à la science est la meilleure réponse possible à ceux qui prétendent que les papes ou l'Eglise se sont opposés de toutes les façons au développement scientifique."
    (James Walsh, "Catholic churchmen in science",  chp7, The Jesuit astronomers)

    Si l'on veut se persuader de l'influence des Jésuites dans l'histoire de la science, une brève visite sur cette page  wikipedia suffira.
    On peut aussi se contenter de mentionner les quelques 35 cratères de la lune portant le nom de jésuites, ou que, parmi les 303 personnalités mentionnées par l'abbé Charles Bossut (géomètre, élu en 1768 à l'Académie des sciences) dans son livre "Histoire générale des mathématiques" publié en
    en 1810, on compte bien seize jésuites. Si l'on veut se persuader plus généralement de l'influence du christianisme et du catholicisme dans l'histoire de la science, un autre saut sur une autre page suffira également.

    N'hésitez pas à ouvrir un commentaire ci-dessous avec une brève biographie d'un ou plusieurs hommes d'Eglise ou laïcs chrétiens, penseurs ou scientifiques. Ceci achèvera bien de consummer cette légende noire aussi inepte que ceux qui la propagent. En vrai notre siècle est bien prétentieux : nous ne sommes que nains sur épaules de géants, et ces géants furent pour bonne part chrétiens et catholiques, n'en déplaise.

  • Foi, science, et déraison - suite

    ecole-athene-raphael.jpg   L'insensé dit dans son coeur : "Dieu n'existe pas". Et il n'est jamais avare d'aphorismes, le décalogue des sentencieux, qui lui tient lieu de Révélation.
    Il s'en suffit, l'insuffisant.

    Ainsi nous assène-t-il sans vergogne :
    "Les religions (et il faut bien entendre : y compris et surtout la religion catholique) sont un obstacle au progrès et à la science ; elles maintiennent l'homme dans l'obscurantisme et la servitude de l'ignorant. Il faut d'ailleurs nécessairement être parfaitement athée et débarrassé de tous préjugés religieux pour faire un honnête scientifique."

    Voilà parmi les contes de fée qu'il aime tant se raconter. Il nous faut le désenchanter, combien même cela nous transperce l'âme d'avoir à le ramener dans un univers à quatre dimensions - seulement.

    La proposition de ces insensés est en effet fausse tant dans son principe matériel que formel :

    1)- Le monothéisme judéo-chrétien, en séparant de manière nette la créature de son créateur, dédivinise et désacralise l'univers : cette distinction implique l'autonomie ; l'univers peut alors devenir objet d'étude sans risque de profaner quoi que ce soit, avec pour seule limite l'éthique (l'homme est à l'image de Dieu, qui lui confie la Création). Le judéo-christianisme, avec la conviction que la Création n'est pas l'inconséquence d'un Dieu arbitraire, mais procède au contraire d'une raison supérieure, d'une Sagesse, justifie l'effort persévérant et obstiné de la recherche. Notre monde est accessible à la raison humaine ; ses lois ne changeront pas sous le caprice d'un esprit ou d'un dieu cyclothymique, sous l'arbitraire d'un panthéisme, et son étude n'est donc pas vaine. S'il est difficile d'atteindre la vérité, l'homme a toujours les facultés et capacités de s'en approcher le plus possible. Aussi cette conviction rejette-t-elle le scepticisme, le doute pyrrhonien qui paralyse la science et la recherche.

    Ce monde créé, distinct de Dieu mais portant son empreinte comme un objet d'argile celle de son potier, est pour le judéo-christianisme l'autre livre de Dieu : de même que l'étude de la Vérité révélée enseigne qui est Dieu aux hommes, de même l'étude de la Création. De même la prière, de même le savoir - l'intelligence - permet à l'homme de s'approcher de Dieu.
    Voici en essence les raisons qui font que le monothéisme judéo-chrétien, libèrant la recherche scientifique et la connaissance de toutes superstitions et de toute idolâtrie, constitua de fait un terreau unique et fertile.

    2) La nature même des textes sacrés, inspirés et non dictés, laisse une large place à l'interpétation et ne constitue pas en soi un obstacle à la science. Le christianisme développe très tôt une herméneutique basée sur les quatre sens des Écritures : littéral, allégorique, tropologique, et anagogique. "la lettre tue, l'esprit vivifie" répétait saint Ambroise au IV°. Songeons simplement à l'utilisation des paraboles, dans l'Ancien comme le Nouveau Testament : "J'ouvrirai la bouche pour dire des paraboles, je clamerai des choses cachées depuis la fondation du monde (Matthieu 13,35). Ou encore : "j'ouvre la bouche en paraboles, j'évoque du passé les mystères" (Psaumes 78,2).
    C'est ainsi que saint Augustin peut écrire :
    "S’il arrive que l’autorité des Saintes Écritures soit mise en opposition avec une raison manifeste et certaine, cela veut dire que celui qui [interprète l’Écriture] ne la comprend pas correctement. Ce n’est pas le sens de l’Écriture qui s’oppose à la vérité, mais le sens qu’il a voulu lui donner. Ce qui s’oppose à l’Écriture ce n’est pas ce qui est en elle, mais ce qu’il y a mis lui-même, croyant que cela constituait son sens» (S. Augustin, Epistula 143, n. 7; PL 33, 588)
    De reste, l'interprétation fondamentale ou littérale, là où elle n'a après discernement aucune raison d'être, n'est dans le christianisme qu'une -dangereuse- tentation. Elle ne fut, n'est et ne sera jamais un dogme dans le catholicisme.

    3) Il n'y a donc pas d'obstacle primordial à la connaissance scientifique dans le judéo-christianisme. Tous les points soulevés plus haut se retrouvent d'ailleurs comme positivés dans les Écritures :
    - Tu as tout réglé avec mesure, nombre et poids (Sagesse 11, 20).
    - Mais la Sagesse, d'où provient-elle ? où se trouve-t-elle, l'Intelligence  ? (...) Lorsque Dieu voulut donner du poids au vent, jauger les eaux avec une mesure; quand il imposa une loi à la pluie, une route aux roulements du tonnerre, alors il la vit et l'évalua, il la pénétra et même la scruta (Job 28, 20).
    - Il a disposé dans l'ordre les merveilles de sa sagesse (Siracide 42,21).
    - Le Très-Haut a donné à l'homme le savoir pour être glorifié dans ses merveilles (Siracide 38, 6).
    - Le manque de science n'est bon pour personne (Proverbes 19.2).

      Ainsi, dès les premiers siècles le christianisme a justifié l'usage de la raison dans la théologie même, et essayant d'articuler foi et raison avec harmonie. Ceci est enseigné par les pères de l'Eglise, jamais avares de polémiques contre certaines écoles philosophiques - ou certains de leurs pairs :
    - Tertullien (150-230): "Au surplus, ils [les incroyants]  sont aussi loin d'en avoir une notion raisonnable qu'ils sont loin de l'auteur même de la raison. La raison est en effet la chose de Dieu : il n'est rien que Dieu, créateur de toutes choses, n'ait réglé d'avance, n'ait disposé, n'ait ordonné rationnellement, rien qui ne doive, selon sa volonté, être traité et compris rationnellement. [De la pénitence, chp1]"
    - saint Augustin (354-430) : "Mais si vous [Consentius] avez droit de demander, à moi ou à quelque docteur que ce soit, de comprendre ce que vous croyez, exprimez-vous autrement, non pas pour refuser de croire, mais pour chercher à voir avec la lumière de la raison ce que vous tenez déjà avec la fermeté de la foi. Loin de nous la, pensée que Dieu haïsse dans l'homme ce en quoi il l'a créé supérieur aux autres animaux ! A Dieu ne plaise que la foi nous empêche de recevoir ou de demander la raison de ce que nous croyons, puisque nous ne pourrions pas croire si nous n'avions pas des âmes raisonnables ! [Lettre 120,3]
    (Nous remarquons déjà la célèbre  formule : "crede ut intelligas, intellege ut credas", prononcée dans un de ses sermons (43,9) : "Il est donc vrai sous un rapport  que l'on doit comprendre pour croire, et il est vrai aussi de dire avec le prophète, que l'on doit croire pour comprendre. Donc entendons-nous : oui, il faut comprendre pour croire et croire pour comprendre. Voulez-vous que j'explique en deux mots et qu'il n'y ait plus de contestation possible ? Je dirai à chacun : Comprends ma parole, pour croire, et crois la parole de Dieu pour comprendre."
    - On retrouve cette dialectique foi et raison dans une sorte de roman chrétien du III°, mettant en scène saint Clément et d'autres personnages comme saint Pierre ou Simon le Magicien :
    Saint Pierre : "Ne crois donc pas que nous disons que ces choses-là [l'existence des Cieux] ne doivent être reçues que par la foi ; elles doivent l'être aussi par la raison. Car en vérité il n'est point prudent que ces choses soient reçues par la foi seule sans la raison, puisque assurément la vérité ne peut être sans la raison. En conséquence, celui qui reçoit ces choses fortifiées par la raison ne peut jamais les perdre, tandis que celui qui les reçoit sans preuve, par simple assentiment, ne peut jamais être sûr de les garder, non plus qu'il peut être certain qu'elles soient vraies ; parce que celui qui croit facilement renie aussi facilement. Mais celui qui a cherché les raisons de ces choses qu'il a reçues et crues, ainsi lié par la chaîne de la raison elle-même, ne peut jamais être détaché de  ces choses qu'il croit. Et par conséquent, plus l'anxiété de demander raison est forte, plus grande la fermeté de sa foi." (Reconnaissances, pseudo-Clément, LII, chp69)
    On pourrait également citer la formule de saint Anselme (1033-1106) : "fides quarens intellectum", la foi cherchant l'intelligence, Proslogion, préambule - et, pour s'assurer que l'Eglise n'a décidément rien contre la raison, simplement relire l'oeuvre de saint Thomas d'Aquin, sans doute l'un des théologiens le plus cité par celle-ci.

    Dans son principe matériel, la religion chrétienne, dont évidemment la religion catholique, ne saurait par conséquent faire obstacle à la science ou la raison (autre chose ses modalités applicatives). La seule limite est éthique.
    Voyons la traduction formelle et parlons plus précisément de l'Eglise catholique et du savoir. Voici ce qu'écrit Henri-Irénée Marrou : "Le christianisme est une religion savante, il ne peut pas se passer d'un certain niveau de culture, de savoir, de lettres; nous l'avons vu, en Orient, civiliser les barbares, de l'Ethiopie au Caucase : il ne pouvait, sans se mettre en péril, laisser se barbariser l'Occident" (L'Eglise de l'Antiquité tardive, Points, Histoire, p241).
    Le dogme catholique en effet, dans sa volonté (et la nécessité) de donner des définitions positives, fait un large usage de notions philosophiques complexes. Que l'on songe à la définition de la divinité, Une et Trine à la fois, ou à la Christologie. L'instruction de ses clercs est donc une nécessité vitale ; avec l'effondrement des institutions classiques sous les coups des invasions barbares, l'école épiscopale apparaît dès le VI° siècle, suivie de l'école presbytérale, "de façon à pouvoir se préparer de dignes successeurs". Continuons avec Henri-Irénée Marrou : "le fait historique important à souligner est que cette école chrétienne, création besogneuse des siècles obscurs, fut pour de longs siècles la seule que connut l'Occident. D'où l'ambiguïté caractéristique que revêt au Moyen-Âge le terme de clerc : cléricus signifie tour à tour, et presque toujours à la fois, membre du clergé et homme cultivé" (op cit, p243) 
     Impossible pour l'Eglise catholique de se laisser aller à l'ignorance. Lorsqu'elle le fit parfois, elle prit très vite conscience que sa survie même était en jeu. Et puisque la fonction sacerdotale n'est pas héréditaire dans l'Eglise catholique, impossible de confisquer le savoir. L'ouverture est nécessaire pour trouver les "dignes successeurs." C'est ainsi qu'un simple berger put devenir à la fois l'homme le plus érudit de son temps, et pape.
     La Tradition, le dépôt de la foi, que l'Eglise a pour mission essentielle de transmettre, nécessite l'intelligence et le savoir. Autrement le dépôt et la transmission meurent de concert. Le savoir fut donc tour à tour entretenu par les monastères (écoles et scriptorium), puis les écoles cathédrales au XI° et XII° (Chartres, Orléans, Reims, Paris et Laon, pour citer les plus reconnues en France). Apparaissent en parallèle les universités : elles sont pure invention de l'Eglise catholique (la première à Bologne en 1080 ; en 1289 est créée la faculté de médecine de Montpellier, par une bulle du pape Nicolas V, "Quia  sapienta" ) pour former des clercs aptes à comprendre et transmettre parfaitement la foi, mais aussi pour défendre les droits de l'Eglise face aux pouvoirs séculiers : "Dieu n'a pas dit : mon nom est coutume" asséna le pape Grégoire VII. C'est une conséquence de ce qui fait une des spécificités de la religion chrétienne : la séparation du pouvoir temporel et spirituel.
    De fait, la chrétienté du Moyen-Âge, lorsque furent réglés les épisodes des invasions, eut une soif inextinguible de savoirs et de sciences ; elle fut matrice : pour preuves ces témoignages * :

    "Il y avait à Paris trente mille étudiants qui s'occupaient de l'étude des livres ecclésiastiques d'instruction (...) et aussi de savoir profane ; ils étudiaient la sagesse, c'est à dire la philosophie, la géométrie, l'arithmétique, et l'astronomie ; ils étaient continuellement occupés à écrire, et tous ces élèves recevaient du roi de l'argent pour subsister."
    Rabban Sâwmâ, 1287, ambassadeur des Mongols, en visite à Paris.

    "J'ai remarqué que les sciences véritables sont très répandues parmi les nations sous la domination desquelles et sur les terres desquelles nous vivons, bien plus qu'elles ne sont répandues en terre d'Ismaël."
    Samuel Ibn Tibbon (+ 1232), in Ma'amar Yiqqawu ham-maim.

    "Nous avons appris que, à notre époque, les sciences philosophiques connaissent une grande prospérité dans le pays des Francs, dans la région de Rome et dans les contrés voisines de la rive nord. On y assiste, dit-on, au renouvellement des sciences, qui sont enseignées dans de nombreux cours, font l'objet de traités systématiques, comptent de nombreux connaisseurs et attirent de nombreux étudiants."
    Ibn Khaldun (1332-1406), in Muqaddina

    De fait, la vocation d'éducation et d'enseignement de l'Eglise catholique n'est pas compliquée à démontrer : que l'on songe aux ordres salesiens, oratoriens, jésuites, assomptionistes etc. Qui instruisit Voltaire et les philosophes des "Lumières" ? Qui croit encore aux générations spontanées ? 

    Rien de plus grotesque donc que d'affirmer que l'Église catholique s'oppose par essence et structurellement à la science, au savoir et  la raison. C'est grossièrement faux et exactement l'inverse : la dette de l'Occident concernant son patrimoine scientique envers le christianisme et l'Église catholique est simplement exorbitante.
    Rien, dans cette religion, n'est un obstacle à la science : nature divine, Écritures Saintes, herméneutique, tout, en essence, la favorise. Aussi bien, si l'on trouva dans l'histoire pluri-millénaires de l'Église des hommes opposés à la science et à la raison, ce fut toujours accidentel et ponctuel.

    * Rémi Brague, "Au moyen du Moyen-Âge", édition Champs essai, p72-73